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déterminé franchement l’un à l’autre ; et toujours leurs lettres gardaient la forme de cette amitié passionnée, imprécise.

« J’ai été heureux ce soir, pour la première fois de ma vie, disait-il dans la lettre-prélude, de voir que la personne dont j’avais le plus désiré l’estime voulait bien me compter pour quelque chose et ne pas repousser mon obscure admiration. Marceline, je n’ai pas d’autre mot pour vous que celui de vous admirer ; ce sera celui de toute ma vie. Je souffre qu’il soit sur mes lèvres de si peu de prix. Qu’ai-je à vous offrir ? Je ne suis qu’un pauvre médecin de province, je n’ai rien en moi de brillant ou de flatteur. Si grande que soit mon admiration, si constante et immense, que sera-t-elle pour vous ? »

Marceline reçut ces lignes avec une grosse émotion ; mais elle fut un peu déçue à les lire. Elle aimait incomparablement plus ce qu’elle avait deviné dans l’âme de Jean que ce qu’il en écrivait là. « M’admirer toute sa vie ! se disait-elle avec l’esprit critique et inquisiteur qui était au fond d’elle-même et que l’amour n’avait pu détruire ; le pauvre ami ne sait pas que, dans le mariage, on se blase vite sur les qualités intellectuelles de celui ou de celle qui partage avec vous la vie. Qu’il m’aime toujours, plutôt, je ne lui demande que cela. Pour cette admiration éternelle, je ne la vois guère en ménage. » Elle lui répondit, sa plume tremblant d’émoi :

« Je ne veux plus, cher ami, que votre modestie vous fasse écrire des choses qui me peinent. Si j’ai un peu de talent, et je crois que celui que vous avez conçu de moi dans votre indulgence