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Elle eu de lui soudain une peur atroce ; n’allait il pas la tuer ? Elle devinait sa métamorphose inopinée d’amour en haine ; elle eut une vision de cette inimitié d’homme à femme, qui était inconsciemment le fond de sa sagesse de Cerveline, et plusieurs secondes, où sa frayeur paralysait sa force, elle eut cette hantise de mourir ici, dans cette chambre, sous sa main.

— Laissez-moi, supplia-t-elle, toute fierté vaincue, laissez-moi, monsieur Tisserel !

Il n’aurait pas touché à l’un de ses cheveux, sa colère lui fit honte. Il retomba à genoux devant elle ; il pleurait ; et dans ses larmes, c’était Henriette qu’il appelait. Toute blanche et frissonnant encore, Jeanne, immobile, regardait avec délices souffrir l’homme qui l’avait humiliée, quand elle vit sa porte s’ouvrir, glisser, en même temps qu’une voix, ignorante de ce qui se passait ici, disait joyeusement.

— Je puis entrer, ma chérie ? c’est moi, Marceline.

En toilette d’hiver, frileuse, mince et vive dans ses fourrures noires où l’on ne voyait plus d’elle qu’un peu de son visage et la lueur de ses grands yeux gris, rieurs, Marceline Rhonans pénétrait chez son amie comme on entre chez un être limpide et simple de qui la vie vous est ouverte. Un soubresaut l’arrêta quand elle vit à quel drame elle venait se mêler. Le prélude, où elle avait joué son rôle avec Jean Cécile, devenait maintenant lumineux pour elle : cette idylle triste, d’avance condamnée, pressée vers son dénouement par la passion du malheureux Tisserel, avait dû venir