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riage. La dernière ici, c’est notre amie Béatrix dont les yeux étaient si beaux et si sombres, que nous lui disions toujours : « Tu joueras la tragédie. » Elle l’a jouée. Ce beau garçon que vous voyez près d’elle, journaliste, romancier, épris d’elle jusqu’à la folie, s’est jeté un jour dans le Rhône, à cause des sombres yeux tragiques. Rassurez-vous, il n’y resta que le temps voulu pour attendrir notre amie, et il y eut un beau sourire pour réchauffer après son âme transie, comme un rayon de soleil provençal pour sécher sa redingote professionnelle.

Marceline se reprit un moment, passa la main à son front.

— Oh oui ! j’en ai vu ! j’en ai vu ! Que de mots d’amour répétés, croisés, puis redits encore à m’en lasser ! que de formules, d’attitudes, de prières, de menaces, de promesses jetées dans le moule éternel ridiculement usé ! Quelle atmosphère de lettres tendres, de baisers, de soupirs, de rêveries ! Thérèse, Berthe, Marguerite, Marie, Béatrix, et combien d’autres qui ne sont pas ici ! Et que de larmes, que de sanglots, que de désespoirs, et quel vent de passion criant son éternité !

Cécile l’écoutait, se plongeait avec elle dans ces souvenirs comme dans le livre de sa vie.

— Il n’y a pas dix ans de cela, continua-t-elle tristement. La pauvre Thérèse et le bel officier sont séparés de corps et de biens. Elle a mis à son procès ce que vous voyez dans ses yeux, l’acharnement qu’elle avait apporté à son mariage… Ma petite cousine au coup de tête, qui a des enfants, reste enchaînée par eux à l’homme terrible qui la martyrise de ses violences. J’ai reçu l’autre jour une lettre navrante de la jolie