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puisse valoir la gloire, que la tendresse ne dépasse le savoir, et le cœur… le cerveau ?

— En poésie, oui, dit-elle, je le crois.

Elle souriait doucement.

— Mais vous le niez dans la vie réelle ?

Elle n’aurait pas su dire au juste quelle impression lui produisait alors le regard de Cécile qui se fixait à elle, mais elle se hâta de dire :

— Vous allez nous juger mal, Jeanne et moi qui partageons là-dessus la même opinion : je ne le voudrais pas ; je ne voudrais pas, docteur, que vous me preniez pour une femme sans cœur. Sachez bien que le dévouement, je l’adore partout, je m’agenouille devant, je le vénère ; j’ai connu des femmes, des jeunes filles dévouées à leurs parents, à des frères infirmes ; j’ai eu, tenez, une de mes jeunes amies, une normalienne si remarquable que — quelques protections aidant — après peu de temps d’exercice on l’avait nommée à Paris. Ses parents habitaient une petite ville de Provence. Le père était paralytique. La mère tombe malade. Mon amie s’appelait Martiale : Martiale, avant de se rendre à son poste, vient aux derniers moments de la vieille dame ; le papa, redevenu presque enfant, s’attache à elle désespérément, la supplie de ne plus le quitter. Elle demande au médecin combien de temps encore peut vivre le bonhomme. Il lui répond : un an ou un peu plus, mais pas deux. Là-dessus, Martiale écrit au ministre qu’elle refuse le poste proposé et qu’elle demande sa mise en retrait d’emploi. Je suis allée voir un jour cette jeune fille qui, pour mettre un peu de douceur dans les derniers mois de cet agonisant, avait brisé sa vie. Et