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ami, à qui vous pourrez demander tout, tout, même sa vie, jour par jour, heure par heure.

Il continuait tout bas des choses qu’on n’entendit plus, tant sa voix s’étranglait.

— Dans ce cas, s’écria enfin Jeanne, dont la mauvaise humeur éclata, je lui demanderais bien de mettre un peu plus de modération et de prudence dans ses coups de théâtre. Mon pauvre docteur, de quoi donc êtes-vous allé vous mêler ! Renvoyer d’Ouglas ! Mais dans ce qu’il a fait il n’y avait pas de quoi fouetter un chat ; et je serai désormais plus détestée, plus tracassée qu’auparavant à cause de cet exemple. À quoi donc avez-vous pensé ?

— À vous ! répondit le pauvre Tisserel confus et mortifié, je n’ai pensé qu’à vous, à l’ennui où je vous avais vue hier. J’ai cru vous faire plaisir. Il ne se pouvait pas que ce garçon gardât de vous cet objet, c’était impossible, mademoiselle, impossible ! Je l’aurais tué plutôt. Il n’était pas possible non plus qu’il continuât à vivre près de vous, dans l’intimité de l’internat. Vous savez bien comme hier vous étiez abreuvée de leurs taquineries ?

— Comment ! Hier j’ai eu un moment d’humeur bien explicable. Voir un corsage neuf gâché pour le bon plaisir de ces messieurs ! J’ai été dépitée, voilà tout. Il m’a échappé quelques mots de colère. Vous avez donc pris cela au tragique ?

Tisserel était atterré comme un homme qui verrait changée en statue de pierre la femme à qui pour la première fois, il tend les bras. Il bégaya :

— Vous disiez : « J’en ai assez de la vie qu’ils me font ; ils sont embusqués derrière chaque heure de ma journée… c’est de la lâcheté. » Est-ce vrai ? répondez-moi : est-ce que ces gamineries