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Porte, sois toujours close ! Éloigne-toi, Chimère !
Je ne chercherai plus la jouissance amère
D’escalader les monts aux fabuleux sommets
Pourvoir de loin le monde où je n’irai jamais !
Je reste. J’oublierai la beauté de la Terre,
Et je me sentirai repris par le mystère
De l’antique forêt à qui j’ai résisté.
J’oublierai Sa douceur, j’oublierai Sa clarté.
Je ferai comme ont fait les heureux et les sages,
Et quand, dans le jardin aux multiples passages
Où depuis ces dix ans je n’ai cessé d’errer,
Un rayon de soleil, venant à s’égarer,
Caressera la mousse ou frappera les pierres,
Je saurai m’éloigner en fermant les paupières !
Rhodéia ! Rhodéia !

Avec un élan désespéré vers elle.

Rhodéia ! Rhodéia ! Tu vois, je me souviens !
Je ne crois plus en Lui ! Je viens vers toi, je viens
Afin de l’oublier, de l’ignorer, d’entendre
La limpide douceur de ta voix fraîche et tendre
Qui doit me consoler et qui doit m’apaiser…