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ICARE


De qui veux-tu parler, Icare ? La première
Je t’aimais, disais-tu ? Non, je n’aimais que Lui !
Dans ce jardin magique où nul rayon ne luit,
Comment ne pas aimer la ferveur de l’aurore,
La gaieté d’Hélios ? Je n’espérais encore
Qu’en sa pitié, qu’en Lui, pour enfin m’échapper.
Mais s’Il n’existe pas ! Si l’amour peut tromper !
Si quand je l’écoutais, je n’écoutais qu’un songe.
Qu’importe que la nuit s’arrête et se prolonge
Sur ce morne jardin où je resterai seul,
Et l’azur flamboyant n’est plus que son linceul !

Ah ! Qu’importe que l’aube étincelle et rayonne.
Si ces rayons divins ne sont pas Sa couronne,
Si le soleil n’était qu’un globe incandescent,
Si ce n’est pas Son char qui soulève en passant
La poussière olympique et sombre de la nue ?
Pourquoi désirer voir Sa splendeur inconnue ?
À quoi bon désirer contempler d’autres cieux ?
Je reste. Ombrage-moi, jardin silencieux !