Page:Yourcenar - Le Jardin des chimères.djvu/47

Cette page a été validée par deux contributeurs.

RHODÉIA.
Elle parle à voix basse, en se tournant à demi vers ses sœurs, un doigt posé sur les lèvres, dans une attitude de grâce inquiète.


Non ! Non ! N’approchez pas, car vous êtes trop belles,
Vous pourriez l’éblouir du reflet de vos ailes,
Vous pourriez l’enivrer du son de votre voix…
Non ! Ne le troublez pas ! Il est bien. Je le vois
Souriant aux baisers invisibles des Songes,
Des Esprits de pitié, des radieux Mensonges
Qui bercent les dormeurs au seuil de l’Inconnu.
Non ! Ne le troublez pas, mes sœurs ! Il est venu
Parce qu’il était las, enfin, de sa souffrance,
Qu’il voudrait que l’oubli remplaçât l’espérance,
Parce que le doux bruit de ce fleuve enchanté
Apaise la douleur dont l’homme est tourmenté,
Parce qu’on dort en paix dans ce lieu de délices
Où les fleurs de la nuit entr’ouvrant leurs calices
Font trembler des lueurs dans l’air opaque et noir.
Non ! Ne vous penchez pas, en riant, pour le voir !
Vous le réveilleriez, il aurait peur sans doute…
Il dort profondément, On croirait qu’il écoute