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J’ai visité l’Égypte et dormi sur le sable ;
Chercheur de l’Invisible et de l’Inconnaissable,
En vain j’ai supplié le Sphinx aux yeux profonds.
Sur l’immense Océan où soufflent les typhons,
J’ai navigué vers l’Inde aux déités sans nombre.
J’ai connu la Scythie où le ciel toujours sombre
Ne s’éclaire jamais des rayons du soleil ;
L’heureuse Taprobane, et le temple vermeil
Où vont prier, la nuit, les prêtres de Chaldée.
Et jamais la Réponse en tous lieux demandée
Ne put me satisfaire ou ne put me calmer.
On voyait à mes pieds les morts se ranimer,
De mes Dieux inconnus j’ai sculpté les images,
L’Orient m’accueillit au nombre de ses Mages,
Les fois accomplissaient, soumis, ma volonté.
Mais moi, toujours rêveur et toujours tourmenté
Par l’antique Chimère, hélas inaccessible,
Je dus comprendre enfin qu’il était impossible
De libérer le monde à jamais asservi.
J’abandonnais ce but si longtemps poursuivi
Comme les autres buts que je croyais atteindre ;
Et c’est pourquoi Minos, fatigué de me craindre,