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SCÈNE III


Dans la Mer Égée, sur les bords de l’île qui fut plus tard nommée Icaria.

Le soir vient. — L’amas des rochers polis par les vagues se détache dans la chaude lumière crépusculaire, enveloppé d’une brume dorée qui en efface les contours. La mer est calme à l’infini, avec la transparence glacée des grandes profondeurs. Pas un nuage au ciel, pas une ride sur l’eau décolorée où se reflète le dernier sourire du jour qui décline. — Le silence a cette limpidité qui rend les voix plus sonores ou plus hésitantes. — On ne voit pas le soleil.

Icare est étendu au bord des rochers, sur un lit d’algues. Ses bras s’abandonnent le long de son corps à jamais inerte. — Le sévère visage aux paupières baissées s’incline un peu sur l’épaule ; une expression d’extase sereine, qui lui est nouvelle, idéalise ses traits baignés par la Lumière.

Cependant, une à une, les Océanides, filles de la Mer apaisée et généreuse, sont sorties des abîmes, et, s’appuyant aux aspérités du rocher, pleurent silencieusement la mort d’Icare. Leur chant doux et affaibli répond au chœur des Sirènes qui fendent sans bruit la surface molle des eaux, et dont les voix s’élèvent et retombent, monotones comme l’ondulation des vagues, dans la paix douloureuse du soir prêt à descendre.