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les cadres annalistiques rigoureusement respectés par Thucydide ; mais il ne les a remplacés par rien, et il faut bien dire que désormais son récit trop libre va souvent à l’aventure. Parfois il pousse, pendant plusieurs années, le récit des événements survenus sur un des théâtres d’opérations pour revenir ensuite en arrière[1] ; parfois de longues digressions s’insèrent dans la narration, et l’on ne démêle qu’avec peine le moment où l’auteur retourne à son point de départ[2] ; parfois l’auteur nous fait faire un saut de plusieurs années sans un mot d’avertissement[3]. De pareils procédés favorisent les omissions ; il en est de graves dans les Helléniques, et surtout dans la seconde partie, où il ne s’agit plus, comme dans la première, de négligences de détail, mais de faits essentiels passés sous silence[4]. A côté de ces omissions, d’autres événements sont traités avec une prolixité peu en rapport avec leur faible importance : au VIe et au VIIe livres, les affaires de Phlious et les verbeuses interventions des hommes d’État de cette petite cité tiennent dans le récit de Xénophon une place excessive.

Ce récit peu rigoureux ne paraît pas appuyé par une préparation très méthodique. Xénophon utilise ses souvenirs personnels, et, d’autre part, les nombreux amis qu’il avait pu se faire au cours de sa carrière errante lui ont fourni des renseignements abondants[5]. Mais on n’a nulle part l’impression. qu’il ait été au-devant de la documentation, qu’il ait fait

  1. III, 2, 21 ; IV, 8, 1 : cf. Rev. Phil., 1930, p. 216.
  2. Rien n’est plus confus, à ce point de vue, que le récit des années 367-365, embrouillé par les digressions sur les affaires de Phlious et de Sicyone (VII, 2-3).
  3. V, 2, 10-11 ; VI, 2, 3.
  4. Rev. Phil., 1930, p. 213-214. — M. G. Colin (Xénophon historien, Annales de l’Est, 1933) a relevé avec beaucoup de soin les erreurs et négligences de Xénophon dans le IIe livre des Helléniques ; mais j’avoue que sur plusieurs points je persiste à préférer la chronologie de Xénophon ; et la moisson de M. Colin aurait été beaucoup plus ample s’il avait fait porter son étude sur les livres III-VII.
  5. Distinguer dans son récit entre ces deux sources de renseignement est fort malaisé et souvent impossible. Un certain accent « vécu » dans la description ne signifie pas nécessairement que Xénophon ait assisté aux événements qu’il raconte : cf. Rev. Phil., 1930, p. 222.