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blés en armes. Le découragement des Grecs est à son comble, en considérant la difficulté de traverser le fleuve, en voyant sur l’autre rive des troupes qui s’opposent à leur passage, et derrière eux les Carduques qui les prendront à dos au moment où ils vont passer. Ce jour-la donc et la nuit suivante se passèrent dans le plus grand embarras. Mais Xénophon eut un songe. Il rêva qu’il avait aux pieds des entraves qui, s’étant rompues d’elles-mêmes, le laissèrent libre de marcher tant qu’il voulait. Au point du jour, il va trouver Chirisophe, lui dit qu’il a bon espoir et lui raconte son rêve.

Chirisophe s’en réjouit, et tous les généraux présents se hâtent de faire des sacrifices avant que le jour paraisse. Dès la première victime les signes sont favorables. À l’issue des sacrifices, les stratèges et les lochages ordonnent aux soldats de prendre leur repas. Pendant celui de Xénophon, deux jeunes gens accourent à lui ; car tout le monde savait qu’il était permis de l’aborder, déjeunant ou dînant, et, s’il donnait, de réveiller pour lui dire tout ce qui pouvait avoir trait à la guerre. Ces jeunes gens lui racontent qu’ils se trouvaient à ramasser des feuilles sèches pour le feu, lorsqu’ils aperçoivent sur l’autre bord, entre des rochers descendant jusqu’au lit du Centrite, un vieillard, une femme et des jeunes filles qui déposent des sacs d’habits noirs dans une anfractuosité de rochers ; en les voyant, ils croient pouvoir y passer en sûreté, parce que le terrain ne permettait pas à la cavalerie ennemie d’en approcher. Ils se déshabillent, disent-ils, et, un poignard à la main, ils essayent de traverser nus à la nage ; mais ils avancent, passent, sans se mouiller les parties, enlèvent les habits et reviennent par le même chemin.

Aussitôt Xénophon fait lui-même des libations et ordonne de verser du vin aux jeunes gens pour prier les dieux, qui ont fait voir le danger et le passage, de mener à bien tout le reste. Les libations faites, il mène aussitôt les jeunes gens à Chirisophe et lui raconte le fait. Après les avoir entendus, Chirisophe fait à son tour des libations ; puis, donnant le signal de plier bagage, ils convoquent les stratèges et délibèrent sur les moyens de passer le plus sûrement possible, de vaincre les ennemis qu’on a en face et de n’être pas entamé par ceux qui sont à dos. On décide que Chirisophe marchera eu tête et passera avec la moitié de l’armée, tandis que Xénophon attendra avec l’autre moitié, et que les équipages et la masse traverseront entre les deux détachements.