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survient un grand orage. Cependant il faut marcher : il n’y a pas assez de vivres. Chirisophe est en tête, Xénophon à l’àrrière-garde. Les ennemis font une attaque vigoureuse ; le chemin étant étroit, ils peuvent lancer de près leurs flèches et des pierres. Les Grecs, contraints de les poursuivre et de rallier ensuite, ne marchent qu’avec lenteur. Souvent Xénophon faisait halte, lorsque les ennemis le pressaient vivement : de son côté, Chirisophe s’arrêtait toujours dès que l’ordre en était donné ; seulement une fois, au lieu de s’arrêter, le voilà marchant plus vite et commandant de suivre. Il était clair qu’il se passait quelque chose à la tête. Comme on n’avait pas le temps de s’y porter pour voir la cause de cette marche précipitée, l’arrière-garde suivit d’un train qui ressemblait à une fuite.

On perdit, en cette rencontre, un brave soldat, Cléarque de Lacédémone : une flèche traversa son bouclier, sa casaque et lui perça le flanc ; Basias d’Arcadie eut aussi la tête percée de part en part. Quand on est arrivé à l’endroit où l’on voulait camper, Xénophon va sur-le-champ, comme il était, trouver Chirisophe, et lui reproche de ne l’avoir pas attendu et de l’avoir forcé de combattre tout en fuyant : « Deux soldats de cœur et de mérite viennent de périr sans que nous ayons pu enlever leurs corps, ni les ensevelir. » Chirisophe lui répond : « Regarde ces montagnes ; tu le vois, elles sont inaccessibles : il n’y a qu’une route ; jettes-y les yeux ; elle est à pic ; et tu peux y voir cette multitude d’hommes qui gardent le passage par où nous pourrions nous échapper. Voilà pourquoi je me suis hâté : je n’ai point fait halte, afin de les prévenir, s’il était possible, avant qu’ils fassent maîtres des hauteurs : nos guides m’assurent qu’il n’y a pas d’autre route. » Xénophon dit : « Moi aussi, j’ai deux prisonniers : pendant que les ennemis nous tombaient sur les bras, je leur ai tendu une embuscade, ce qui nous a donné le temps de respirer ; nous en avons tué quelques-uns, et nous désirions en prendre d’autres vivants, afin d’avoir des guides instruits des localités. »

On se fait amener aussitôt ces deux hommes, on les sépare, on tâche de leur faire dire à chacun en particulier s’ils connaissent une autre route que celle que l’on voit. Le premier, malgré toute espèce de menaces, déclare qu’il n’en sait pas d’autre ; et, comme il ne dit rien d’utile, on l’égorgé sous les yeux de son camarade. Celui-ci répond que l’autre avait prétendu ne rien savoir, parce qu’il se trouvait avoir dans ce canton une