Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 2.djvu/461

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

torité royale, à l’abri des atteintes et entouré d’affection, jamais on ne le vit montrer d’orgueil, et l’on devinait, sans chercher, sa bienveillance et son zèle pour ses amis. Il aimait à prendre part à leurs devis amoureux, et quand il le fallait, il s’occupait sérieusement de leurs affaires. Toujours plein d’espérance, d’entrain et de gaieté[1], il se faisait rechercher par bien des gens, non dans une vue d’intérêt, mais à cause du charme de sa société. Incapable de se vanter, il écoutait avec bonté ceux qui se louaient eux-mêmes, pensant qu’ils ne faisaient tort à personne et qu’ils prenaient l’engagement de devenir hommes de bien.

Il ne faut pas oublier non plus la noble fierté qu’il sut montrer à propos. Il lui vint un jour une lettre du roi, apportée par un Perse, qu’accompagnait le Lacédémonien Callias[2], et dans laquelle le prince lui offrait son hospitalité et son amitié. Agésilas n’accepta point cette lettre, et dit au porteur de répondre au roi qu’il était inutile de lui envoyer, à lui, des lettres personnelles ; que, s’il se montre ami de Lacédémone et porté pour la Grèce, Agésilas sera son ami, sans réserve. « Mais, ajoute-t-il, s’il est pris à former de mauvais desseins, qu’il sache que toutes les lettres possibles ne me feront point son ami. » Je loue donc Agésilas d’avoir dédaigné l’hospitalité du roi, par attachement pour les Grecs. Je l’admire encore d’avoir cru que ce n’est pas celui qui a la plus grande somme de richesses et le plus grand nombre de sujets, qui doit être le plus fier, mais celui qui, meilleur lui-même, commande à des hommes meilleurs. Je le loue également de sa prévoyance. Convaincu qu’il importait à la Grèce de soulever contre le roi le plus grand nombre de satrapes, il ne se laissa point amener, par les vives instances du roi, à vouloir devenir son hôte, mais il se tint sur ses gardes pour ne point devenir suspect à ceux qui voulaient se révolter. Qui n’admirerait sa conduite ? Le Perse, se figurant qu’avec d’immenses trésors il mettrait la terre sous ses pieds, s’efforçait, dans cette vue, d’arracher tout ce qu’il y a d’or, d’argent et d’objets précieux. Agésilas réglait si bien sa maison, qu’il n’avait besoin de rien de tout cela. Si l’on en doute, qu’on voie de quelle maison il se contentait, que l’on en considère les portes : on croira voir encore celles-là mêmes qu’Aristodème, fils d’Hercule, y plaça de retour dans sa patrie[3]. Qu’on essaye d’en

  1. Voy., pour la charmante anecdote d’Agésilas chevauchant sur un bâton, Plutarque, Agésil., II, Elien, Hist. div., ΧII, 15.
  2. D’autres lisent Calléas.
  3. Cf. Plutarque, Agésil., XIX ; Cornélius Népos, Agésil., VII.