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pas le cœur d’en venir aux mains. Les chars armés de faux ne sont plus employés à l’usage pour lequel Cyrus les avait fait construire. Par les récompenses dont il comblait les conducteurs, il les avait rendus bons et prêts à s’élancer au milieu de la mêlée. Aujourd’hui, on fait si peu de cas des conducteurs de chars, qu’on croit pouvoir parfaitement conduire sans y être exercé. Il est vrai qu’ils s’élancent ; mais, avant d’avoir joint l’ennemi, les uns tombent sans le vouloir, les autres sautent en bas, de manière que les attelages, privés de conducteurs, causent plus de dommage aux amis qu’aux ennemis. Au reste, ils savent bien eux-mêmes où ils en sont pour l’art militaire ; ils se mettent au-dessous des autres, et personne chez eux n’ose entrer en campagne sans avoir des Grecs dans son armée, soit pour se battre entre eux, soit pour se défendre contre les Grecs : car ils ont pour principe de ne jamais faire la guerre aux Grecs, sans avoir des Grecs de leur côté.

Je crois avoir accompli l’œuvre que je m’étais proposée. Je dis que les Perses et les peuples placés sous leur dépendance, ont aujourd’hui beaucoup moins de respect pour les dieux, de piété envers leurs parents, d’équité les uns avec les autres, de bravoure à la guerre qu’ils n’en avaient autrefois. Si quelqu’un est d’un avis contraire au mien, qu’il examine leurs actions, et il trouvera qu’elles confirment ce que j’ai dit[1].

  1. Nous ne pouvons mieux terminer nos observations marginales sur l’Éducation de Cyrus, que par ces lignes remarquables de Herder : « S’il est un prince dont l’histoire ressemble à une fiction, c’est assurément Cyrus, le fondateur de l’empire persan, soit que nous lisions les exploits de cet enfant des dieux, conquérant et législateur de tant de peuples divers, dans le récit des Hébreux et des Perses, soit que nous donnions la préférence à Hérodote ou à Xénophon. Sans doute, ce dernier historien, qui reçut de son maître l’idée d’une Cyropédie, a recueilli dans ses campagnes en Asie quelques traditions vraies sur la vie de son héros ; mais, comme Cyrus était mort depuis longtemps, il ne les a entendu raconter que dans ce style métaphorique, dont les orientaux se serrent toujours en parlant de leurs rois et de leurs grands hommes. Ainsi Xénophon fut pour Cyrus ce qu’Homère avait été pour Achille et pour Ulysse, quand il construisit sa fable sur quelques vérités. Peu nous importe, toutefois, lequel des deux ait surpassé l’autre en fictions. Il nous suffit de savoir que Cyrus a soumis l’Asie et fondé un empire qui s’étendait depuis l’Inde jusqu’à la Méditerranée. Si Xénophon a décrit avec les couleurs véritables les coutumes des anciens Perses, parmi lesquels Cyrus lut élevé, l’Allemand s’enorgueillira à bon droit de ce peuple, auquel ses ancêtres étaient probablement alliés de très-près, et la Cyropédie peut eue lue en sûreté par tous les princes de notre pays.

    « Mais toi, grand et bon Cyrus, si ma voix pouvait se faire entendre jusque dans ta tombe à Pasagardes, te demanderais à tes cendres pourquoi