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verses promesses, en ont péri victimes[1]. C’est que les Perses sont pires qu’ils n’étaient autrefois.

Jadis, quand un homme exposait ses jours pour le roi, quand il soumettait une ville, une nation, ou qu’il faisait quelque autre action belle et bonne, on lui accordait des honneurs. Aujourd’hui qu’à l’exemple d’un Mithridate qui trahit son père Ariobarzane, ou d’un Rhéomithrès qui laisse pour otages en Égypte sa femme, ses enfants, les enfants de ses amis, et viole les serments les plus sacrés[2], ou commette une perfidie qui tourne au profit du roi, on est comblé des honneurs les plus magnifiques. En voyant de pareils faits, toutes les nations de l’Asie se sont laissé entraîner à l’impiété et à l’injustice : car, du moment que des hommes ont quelque ascendant, tous ceux qui leur sont assujettis suivent leur exemple. Les Perses sont donc plus injustes qu’autrefois.

En ce qui touche les richesses, ils ne sont pas moins injustes. Ce ne sont plus seulement les criminels, mais les innocents mêmes que l’on emprisonne et que l’on contraint, contre toute équité, de se racheter à prix d’or ; en sorte que ceux qui passent pour avoir de grands biens, ne craignent pas moins que ceux qui ont commis de grands crimes. Ils ne veulent pas en venir aux mains avec un ennemi puissant, ils craignent de s’aller joindre à l’armée royale. Aussi tout peuple en guerre avec les Perses peut, sans coup férir, faire des incursions dans leur pays, en punition, sans doute, de leur impiété envers les dieux et de leur injustice envers les hommes : preuve nouvelle que leurs âmes sont tout à fait pires qu’elles n’étaient autrefois.

Quant aux soins du corps, ils ne s’en préoccupent plus comme autrefois, et voici comment. Il y avait chez eux une loi qui défendait de cracher et de se moucher : on voit bien qu’ils n’avaient pas fait cette loi pour ménager une humeur dans le corps, mais pour le fortifier par les travaux et par la sueur. Ils ont conservé, il est vrai, l’usage de ne point cracher et de ne point se moucher, mais ils ont perdu l’amour du travail. Jadis, d’après une autre loi, ils ne devaient faire qu’un seul repas, afin que le reste du jour fût donné aux affaires et aux exercices. Ils ont retenu la pratique de ne faire qu’un repas, mais ils le commencent à l’heure de ceux qui dînent le plus tôt, et ils ne cessent de manger et de boire qu’au moment ou se couchent ceux qui veillent le plus tard.

  1. Cf. Expédition de Cyrus, II, V et VI.
  2. Rien de précis sur les deux personnages dont il est ici question.