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faire aimer, je vais les dire. S’il eut l’avantage d’avoir le plus de revenus parmi les hommes, il eut le mérite bien plus précieux encore de les surpasser tous en libéralité. Cyrus a commencé, et maintenant encore les rois de Perse donnent avec magnificence. Quels amis, en effet, sont plus riches que ceux des rois de Perse ? Quel autre habille plus superbement les gens de sa suite, et distribue comme lui des bracelets, des colliers, des chevaux à frein d’or, ornements qu’on ne peut tenir que de la main du roi ? Quel autre a plus mérité, par ses bienfaits, de se voir préféré à des frères ? à un père, à des enfants ? Quel autre que le roi de Perse peut aussi facilement se venger de nations ennemies, séparées par un intervalle de plusieurs mois de marche ? Quel autre, après sa mort, quel autre que Cyrus fut honoré du titre de père par les peuples dont il avait détruit l’empire ? Or, ce titre est plutôt celui d’un bienfaiteur que d’un spoliateur.

Nous savons encore que ceux qu’on appelle les yeux et les oreilles du roi, c’est par des présents et des honneurs qu’il se les était attachés. La grandeur de ses largesses envers ceux qui lui donnaient des avis importants excitait les autres à observer et à écouter tout ce qu’ils croyaient de nature à servir le roi : ce qui a fait croire à bien des gens crue le roi avait beaucoup d’yeux et d’oreilles. Or, si l’on croyait qu’il leur fût plus avantageux de n’avoir qu’un seul œil bien choisi, on croirait mal. Un seul homme ne peut pas bien voir, un seul ne peut pas bien entendre : et de plus ce serait défendre aux autres de s’en mêler, que de donner à un seul cette commission exclusive, et, quand on saurait que celui-là seul est un œil, on verrait qu’il faut s’en défier. Mais il n’en est pas ainsi ; et quiconque assure avoir vu ou entendu des choses qui méritent attention, le roi les écoute, et voilà pourquoi l’on dit qu’il a beaucoup d’oreilles et beaucoup d’yeux. Par la même raison on craint de dire quelque chose qui déplaise au roi, comme s’il l’entendait, et de rien faire qui lui déplaise, comme s’il était là ; aussi, loin qu’on osât mal parler de Cyrus, chacun n’était pas moins réservé dans ses discours que si tous les assistants eussent été les yeux et les oreilles du prince. Or, d’où venait cette disposition des esprits, sinon de ce qu’il récompensait magnifiquement les plus petits services ?

Qu’il ait poussé loin la magnificence de ses dons, étant très-riche, cela n’a rien d’étonnant ; mais que, roi, ses bons offices et ses soins lui aient acquis des amis, c’est ce qu’on ne saurait