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nous n’ayons point trahi pour acquérir une possession injuste, mais on nous a trahis, et nous nous sommes vengés. Ce qu’il y a ensuite d’essentiel après cette faveur, nous devons nous le procurer : c’est de dominer, supérieurs par notre vertu, les peuples soumis à notre domination. Le chaud, le froid, le manger, le boire, la fatigue, le sommeil, nous sommes obligés de partager ces sensations avec nos esclaves ; et cependant, tout en les partageant, il faut nous efforcer de nous montrer supérieurs à eux en ce point ; mais, à l’égard de la science et des exercices de la guerre, il ne faut jamais leur en faire part, à eux dont nous voulons faire nos laboureurs et nos tributaires : nous devons conserver notre supériorité sur eux dans ces exercices, sachant que ce sont là des instruments de liberté et de bonheur que les dieux ont donnés aux hommes. Enfin, par la même raison que nous avons dépouillé les vaincus de leurs armes, nous ne devons jamais nous dessaisir des nôtres, bien pénétrés de cette maxime que, plus on est près de ses armes, moins on éprouve de résistance à ses volontés. Quelqu’un se dira peut-être : « À quoi donc nous sert-il d’avoir réussi dans toutes nos entreprises, s’il nous faut encore supporter la faim, la soif, les fatigues, les soucis ? » Mais il faut savoir qu’on est d’autant plus sensible à la possession d’un bien, qu’il en a coûté plus de peine pour l’avoir. La peine est l’assaisonnement du plaisir : sans le besoin, les mets les plus exquis seraient insipides. Puisque tout ce que les hommes peuvent souhaiter, la divinité l’a mis entre nos mains, et qu’il dépend de chacun de nous de s’en rendre la jouissance plus agréable, un homme placé dans ces conditions aura sur l’indigent l’avantage de pouvoir se procurer des mets plus agréables s’il a faim, des boissons plus agréables s’il a soif, une couche plus agréable s’il veut se reposer. Je soutiens donc que nous devons redoubler d’efforts pour être des gens de bien, afin de nous assurer la jouissance la plus noble et la plus douce, et de nous garantir du plus grand des maux. Car il est infiniment moins fâcheux de ne pas acquérir un bien, qu’il n’est affligeant de le perdre. Songez aussi quelle raison nous aurions d’être pires qu’autrefois. Serait-ce parce que nous sommes les maîtres ? Mais convient-il que celui qui commande vaille moins que ceux qui obéissent ? Serait-ce parce que nous paraissons plus heureux qu’autrefois ? Mais peut-on dire que le bonheur doive conduire à la méchanceté ? Nous avons des esclaves. Mais comment les corrigerons-nous, s’ils sont méchants ? Convient-il, quand on est méchant, de châtier les autres pour leur méchan-