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qu’on a coupés cessent de mordre et de ruer, et ne sont pas moins propres à la guerre : les taureaux coupés perdent leur humeur sauvage et indocile, sans cesser d’être vigoureux et propres au travail ; les chiens coupés sont moins disposés à quitter leurs maîtres, et ne sont pas moins bons et pour la garde et pour la chasse. Il en est de même des hommes privés de la source du désir : ils deviennent plus calmes, mais n’en sont ni moins prompts à exécuter ce qu’on leur ordonne, ni moins adroits à monter à cheval ou à lancer le javelot, ni moins avides de gloire. Ils montrent, au contraire, tous les jours, par leur ardeur, soit à la guerre, soit à la chasse, que l’émulation n’est pas éteinte dans leurs âmes. Quant à leur fidélité, c’est surtout à la mort de leurs maîtres qu’ils en ont donné des preuves : jamais personne ne s’est montré plus que les eunuques fidèle aux malheurs de leurs maîtres. Et s’ils paraissent devoir perdre quelque chose de leur force physique, le fer, dans une bataille, égale les faibles aux plus vigoureux.

D’après ces considérations, Cyrus, à commencer par les portiers, ne prend que des eunuques pour ses gardes du corps. Mais craignant que cette garde ne soit insuffisante, vu le nombre des malveillants, il songe à qui, parmi les hommes d’une autre espèce, il pourra confier sûrement la garde de son palais. Il réfléchit alors que les Perses restés chez eux mènent dans la pauvreté une vie malheureuse et pénible, tant à cause de l’âpreté du sol que parce qu’ils sont contraints à un travail manuel : il croit donc qu’ils s’estimeront heureux de remplir auprès de lui cette fonction. Il prend parmi eux dix mille doryphores, pour faire sentinelle jour et nuit autour du palais, quand il y serait, et pour l’escorter dans ses sorties. Jugeant d’ailleurs nécessaire d’avoir dans Babylone assez de troupes pour contenir les habitants, qu’il y fût ou non, il établit à Babylone une forte garnison, dont il exige que la solde soit payée par les Babyloniens, voulant par là leur ôter les moyens de nuire, les rendant aussi humbles et aussi souples que possible.

L’établissement de cette garde pour la sûreté de sa personne et celle de la ville de Babylone s’est maintenue jusqu’à nos jours. Songeant ensuite aux moyens de conserver son domaine et d’en étendre les limites, il pense que ces mercenaires pourraient ne pas autant surpasser en courage les peuples vaincus, qu’ils leur étaient inférieurs en nombre. Il a donc le dessein de retenir auprès de lui les braves guerriers qui, avec l’aide des dieux, ont contribué à ses victoires, et surtout de faire en sorte