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sissant toujours, la nuit survient avant qu’il ait eu le loisir de leur parler. « Mes amis, leur dit-il alors, il est temps de se retirer : revenez demain matin, je veux avoir un entretien avec vous. » En entendant ces mots, les amis se retirent avec joie, n’ayant pu vaquer aux soins les plus nécessaires ; et chacun va se reposer.

Le lendemain, Cyrus se rend au même lieu : il y trouve une multitude encore plus nombreuse de gens qui veulent l’approcher : ils étaient arrivés bien longtemps avant ses amis. Cyrus donc forme autour de lui un grand cercle de Perses armés de piques, auxquels il ordonne de ne laisser avancer que les familiers, les chefs des Perses et ceux des alliés. Quand ils sont rassemblés, Cyrus leur parle en ces termes :

« Amis et alliés, nous n’avons pas jusqu’ici à nous plaindre aux dieux, que tout ce que nous avons désiré n’ait été accompli. Mais si le fruit des grandes actions se réduit à ne pouvoir plus jouir ni de soi-même, ni du commerce de ses amis, je dis volontiers adieu à un semblable bonheur. Vous avez remarqué qu’hier, ayant commencé l’audience dès le matin, je ne l’avais pas achevée le soir : et vous voyez qu’aujourd’hui les mêmes gens, et plus nombreux encore que la veille, viennent me fatiguer de leurs affaires. Si je m’y astreins, il est clair que nous n’aurons, vous et moi, que bien peu de commerce ensemble, et certainement je n’en aurai aucun avec moi-même. Je remarque, en outre, une chose ridicule. J’ai pour vous l’affection que vous méritez, et je connais à peine un seul homme parmi ceux qui m’environnent : cependant, ils se persuadent tous que, s’ils sont les plus forts à percer la foule, je dois les écouter les premiers. Il me paraît donc convenable que ceux qui auront quelque demande à me faire vous adressent d’abord leur requête à vous, mes amis, et vous demandent une introduction auprès de moi. Peut-être demandera-t-on pourquoi je n’ai pas établi cet ordre tout d’abord, et pourquoi je me suis rendu accessible à tout le monde. C’est que j’étais convaincu qu’à la guerre un chef ne doit pas être le dernier à savoir ce qu’il faut faire et à agir quand il en est besoin ; et il me semblait que le général qui se montre rarement, omet bien des choses qui auraient dû être faites. Aujourd’hui que nous venons de terminer une guerre des plus pénibles, je sens que mon esprit a besoin d’un peu de repos. Or. comme je suis incertain des mesures que nous devons prendre pour assurer votre bonheur et celui des peuples dont nous devons surveiller les intérêts, que chacun me conseille ce qu’il croit le plus avantageux. »