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fleuve, un espace suffisant pour y bâtir de grandes tours ; après quoi, les soldats se mettent à creuser une immense tranchée, en jetant de leur côté la terre de l’excavation. Cyrus commence par construire des forteresses au bord du fleuve, sur des pilotis de palmiers d’un plèthre au moins de longueur : il y en a, en effet, de plus grands encore dans le pays. Or, ces arbres ont la propriété de se relever sous la charge, comme les ânes à paniers. Par la solidité de ces constructions, Cyrus peut faire voir aux ennemis qu’il est bien résolu de tenir la place assiégée, et empêcher l’écroulement des terres, quand le fleuve pénétrera dans la tranchée. Il fait ensuite élever plusieurs forts de distance en distance sur la terrasse dont elle est bordée, afin de multiplier les corps de garde. Telles sont ses œuvres de siège. Cependant les assiégés, du haut des murs, se moquent de ces préparatifs, vu qu’ils ont des vivres pour plus de vingt ans. Aussi, dès que Cyrus en est informé, il divise son armée en douze parties, dont chacune doit faire la garde pendant un mois. À cette nouvelle, les Babyloniens redoublent leurs railleries, se figurant que la garde écherra aux Phrygiens, aux Lyciens, aux Arabes, aux Cappadociens, qu’ils se croient beaucoup plus attachés qu’aux Perses.

Déjà les fossés sont creusés. Cyrus apprend que le jour approche, où l’on doit célébrer à Babylone une fête, durant laquelle tous les Babyloniens passent la nuit entière à boire et à se répandre en plaisirs. À l’instant même, aussitôt que le soleil est couché, il fait ouvrir par un grand nombre d’hommes la communication entre le fleuve et les fossés : l’eau, durant la nuit, s’écoule dans les fossés, et la partie du fleuve qui traverse la ville devient guéable. Le fleuve une fois détourné, Cyrus ordonne aux chiliarques perses, fantassins et cavaliers, de venir le joindre, chacun avec ses mille hommes rangés sur deux files, et aux alliés de suivre en queue dans l’ordre accoutumé. Ils arrivent. Cyrus alors fait descendre dans le fleuve à sec ses gardes, fantassins et cavaliers, pour éprouver si le fond est solide ; et, sur la réponse qu’on peut passer en toute sûreté, il assemble les chefs de la cavalerie et de l’infanterie, et leur dit : « Mes amis, le fleuve nous offre une route pour pénétrer dans la ville : entrons-y avec assurance et sans crainte, certains que les ennemis, contre lesquels nous allons marcher, sont les mêmes que nous avons déjà vaincus, lorsqu’ils avaient des alliés, qu’ils étaient bien éveillés, à jeun, couverts de leurs armes et rangés en bataille. Aujourd’hui, quand nous fondons sur eux, ils sont