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plus encore ; de sorte qu’on travaillait avec joie, qu’on acquérait avec sécurité, et qu’on ne cachait point à Cyrus ce qu’on avait acquis. On ne remarquait point qu’il enviât les richesses avouées, mais il essayait de faire main-basse sur les trésors cachés. Tous les amis qu’il s’était créés, dont il connaissait l’affection et qu’il regardait comme des auxiliaires capables pour ce qu’il voulait entreprendre, il excellait, de l’aveu de tous, à se les ménager par de bons offices ; et, comme il y avait des cas où il pensait avoir besoin lui-même de l’aide de ses amis, il essayait d’être pour ses amis un aide excellent dès qu’il leur connaissait un désir.

Il n’est pas un homme, je pense, qui ait reçu plus de présents que lui, et pour plusieurs raisons : personne aussi ne les a mieux distribués à ses amis, consultant les goûts et les besoins urgents de chacun. Lui envoyait-on de riches habillements qui servissent à la guerre ou à la parure, il disait que son corps ne pouvait les porter tous, mais que des amis bien parés étaient le plus bel ornement d’un homme. Qu’il ait vaincu ses amis en munificence, cela n’est point étonnant, puisqu’il était plus puissant qu’eux ; mais qu’en attentions, en désir d’obliger, il les ait surpassés, c’est ce qui me semble plus admirable. Souvent Cyrus leur envoyait des vases à demi pleins de vin, quand il en recevait du bon, disant que depuis longtemps il n’en avait pas bu de meilleur. « Je t’en envoie donc et te prie de le boire aujourd’hui avec tes meilleurs amis, » Souvent il envoyait des moitiés d’oie, de pain et d’autres mets pareils, et chargeait le porteur de dire : « Cyrus les a trouvés excellents ; aussi veut-il que tu en goûtes. » Quand le fourrage était rare, et qu’à force de valets et de soins il avait pu s’en procurer, il faisait dire à ses amis d’envoyer prendre de ce fourrage pour leurs chevaux de monture, afin que le jeûne ne les empêchât pas de porter ses amis. Quand il se présentait quelque part, et que beaucoup de regards devaient se fixer sur lui, il appelait ses amis et s’entretenait gravement avec eux, afin de montrer ceux qu’il avait en estime.

Pour ma part, d’après ce que j’entends dire, je juge que personne n’a jamais été l’objet d’une affection plus vive parmi les Grecs et les Barbares. En voici une preuve : quoique Cyrus fût sujet du roi, personne ne le quitta pour Artaxercès. Orontas seul l’essaya, et il reconnut bientôt que l’homme qu’il avait pris pour confident lui était moins dévoué qu’à Cyrus. Au contraire, quand les deux princes devinrent ennemis, beaucoup de