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bleront de traits, et nous empêcheront de combattre en rase campagne. » Si l’on était venu vous apporter ces nouvelles de la situation des ennemis, qu’auriez-vous fait ? vous qui tremblez, lorsqu’on vous dit que Crésus est élu général, Crésus, le plus lâche des Syriens, Crésus qui, voyant les Syriens vaincus et en fuite, au lieu de secourir ses alliés, a fui et disparu ? On annonce encore que les ennemis ne sont pas en état de se défendre contre nous ; qu’ils soudoient des étrangers, comme si ces derniers devaient combattre plus vaillamment pour eux qu’ils ne le feraient eux-mêmes. Si cependant quelqu’un trouve leurs forces redoutables et les nôtres faibles, je suis d’avis qu’on le leur envoie : il nous servira beaucoup plus étant avec eux, que demeurant avec nous. »

Quand Cyrus a terminé ce discours, le Perse Chrysantas se lève et dit : « Cyrus, ne sois pas étonné si quelques-uns d’entre nous ont paru tristes en écoutant ces nouvelles ; ce n’est point un effet de la crainte, mais du dépit. De même que si, au moment où des gens veulent dîner et se mettre à table, on vient leur commander un travail d’urgence avant le repas, personne, je crois, ne sera charmé d’entendre un pareil ordre ; de même, quand nous croyons que nous allons nous enrichir, et que nous apprenons qu’il nous reste encore quelque entreprise à exécuter, nous nous sentons attristés, non par la peur, mais par le désir qu’elle soit déjà terminée. Oui, puisqu’il s’agit de combattre non-seulement pour la Syrie, fertile en blé, en bétail, en palmiers chargés de fruits, mais encore pour la Lydie, pays abondant en vin, en huile, et baigné d’une mer qui apporte plus de richesses qu’on n’en a jamais vu, nous n’éprouverons plus de dépit, mais nous aurons assez de cœur pour courir à la jouissance des trésors de la Lydie. »

Ainsi parle Chrysantas ; tous les alliés approuvent son discours et y applaudissent. Alors Cyrus : « Soldats, dit-il, je suis d’avis qu’on se mette au plus tôt en marche, afin d’arriver les premiers, s’il est possible, où sont rassemblés leurs vivres ; plus nous nous hâterons, moins nous les trouverons sur leurs gardes, et plus ils seront pris au dépourvu. Voilà ce que je dis. Si quelqu’un connaît une mesure ou plus facile ou plus sûre, qu’il la propose. » Presque tous les chefs conviennent qu’il est nécessaire de marcher promptement à l’ennemi ; et personne n’ouvrant un avis contraire, Cyrus répond : « Alliés, nos âmes, nos corps, nos armes dont nous devons nous servir, sont, grâce aux dieux, depuis longtemps dans un état excellent : ne