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Cyrus, après ces mots, reprend et dit : « Au nom des dieux, cher oncle, si jamais j’ai fait quelque chose qui te fût agréable, accorde-moi aujourd’hui la faveur que je te demande : cesse, en ce moment, de m accuser. Quand tu m’auras mis à l’épreuve, si tu reconnais que mes actions ont été faites dans ton intérêt, aime-moi comme je t’aime, conviens que je t’ai bien servi, et si tu trouves le contraire, plains-toi de moi. — Peut-être, dit Cyaxare, as-tu raison : ainsi ferai-je. — Eh bien, dit Cyrus, te donnerai-je le baiser ? — Si tu veux. — Et tu ne te détourneras pas comme tout à l’heure ? — Je ne me détournerai pas. » Cyrus lui donne le baiser.

À cette vue, les Mèdes, les Perses et les autres, qui se demandaient ce qu’il allait en advenir, sont ravis et laissent éclater leur joie. Cyrus et Cyaxare montent à cheval et se placent en tête : les Mèdes se mettent à la suite de Cyaxare, sur un signe de Cyrus, les Perses à la suite de Cyrus et les autres après eux. Arrivés au camp, on conduit Cyaxare à la tente qui lui est préparée et dans laquelle des gens préposés à ce service avaient disposé pour lui tout ce qui lui était nécessaire. Les Mèdes, durant le loisir laissé à Cyaxare avant le souper, viennent le trouver, quelques-uns spontanément, la plupart sur l’ordre de Cyrus, et lui amènent des présents, celui-ci un bel échanson, celui-là un bon cuisinier, l’un un boulanger, l’autre un musicien, d’autres des coupes ou de riches vêtements : chacun enfin prélève, pour la lui offrir, une part du butin qu’il a reçu. Cyaxare reconnaît alors que Cyrus n’a point détourné de lui le cœur des Mèdes, et qu’ils ont pour lui la même affection qu’auparavant.

L’heure du repas venue, Cyaxare, revoyant Cyrus après une longue absence, l’invite à dîner avec lui. Cyrus lui répond : « Dispense-moi, Cyaxare : ne vois-tu pas que tous ceux qui sont ici ne sont venus que sur notre invitation ? J’aurais donc mauvaise grâce, si je les négligeais pour ne paraître songer qu’à mon plaisir. Quand les soldats se croient négligés, les bons se découragent et les mauvais deviennent insolents. Mais toi, qui as fait une longue traite, il est temps que tu te mettes à dîner. Ceux qui te rendent hommage, accueille-les et traite-les comme il faut, afin qu’ils cessent de te craindre. Moi, je vais m’occuper de ce dont je t’ai parlé. Demain, dès le matin, les officiers de service se rendront à tes portes, afin que nous délibérions tous avec toi sur ce qu’il faut faire désormais. Quant au conseil, propose toi-même la question s’il vaut mieux continuer la campagne ou licencier l’armée »