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en butte à des pièges, moi et tout mon domestique, et je m’attends à mener une vie misérable, ayant pour ennemis des voisins, et les voyant plus forts que nous. Peut-être dira-t-on : Mais pourquoi n’as-tu pas fait ces réflexions avant de changer de parti ? Parce que, Cyrus, mon âme outragée, indignée, ne considérait plus le parti le plus sûr : elle ne nourrissait plus qu’un sentiment, l’espoir de se venger un jour d’un monstre ennemi des dieux et des hommes, qui passe sa vie à détester, non pas quiconque l’offense, mais ceux qu’il soupçonne de valoir mieux que lui. Pauvre comme il l’est, je crois qu’il n’aura jamais pour alliés que tous ceux qui sont encore plus pervers que lui-même ; et si, parmi eux, il en est un qui lui semble meilleur qu’il n’est, sois tranquille, Cyrus, tu n’auras pas besoin de combattre cet homme ; il n’aura pas de trône, avec ses machinations, qu’il n’ait fait mourir celui qui vaut mieux que lui. Cependant, avec ces méchants, il sera encore facilement en état de me nuire. »

En l’entendant, Cyrus croit que ce qu’il dit mérite attention, et il réplique : « Eh bien ! Gadatas, que ne renforçons-nous tes murailles d’une garnison, pour que tu y trouves abri et sûreté quand tu voudras y aller ? Cependant tu nous suivras, et, si les dieux continuent d’être avec nous, c’est l’Assyrien qui te craindra, et non plus toi qui auras à le craindre. Prends avec toi un des tiens que tu te plais à voir et dont la société t’agrée, et suis-nous. Je ne doute pas que tu ne nous serves encore très-utilement. Je te promets, de mon côté, tous les secours qui dépendront de moi. » En entendant ces mots, Gadatas respire et dit : « Aurai-je le temps d’achever mes apprêts avant que tu partes ? Je voudrais emmener ma mère avec moi. — Par Jupiter ! répond Cyrus, le temps ne te faudra point : j’attendrai jusqu’à ce que tu dises que tout est prêt. »

Gadatas part, établit, de concert avec Cyrus, des garnisons dans les châteaux qu’il a réparés, et rassemble tout ce qui est nécessaire pour mener un grand train de maison. Il choisit ensuite, pour partir avec lui, plusieurs de ses fidèles ; les uns parce qu’ils lui sont agréables, les autres parce qu’ils lui sont suspects, contraignant les uns à emmener leurs femmes, les autres leurs sœurs, pour les retenir par autant de liens. Cyrus garde près de lui Sadatas et sa suite pour lui indiquer l’eau, le fourrage, le blé, de manière à ce que les campements aient lieu dans des cantons fertiles. Aussitôt qu’on est en vue de Babylone, Cyrus, s’apercevant que la route qu’il suit aboutit aux