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puisque c’est là le point central de la force de nos ennemis. Ils sont nombreux, dis-tu ; s’ils ont du cœur, ils nous le montreront bientôt, je l’espère. En ne nous voyant pas, ils croiront que la peur nous empêche de nous montrer, et sois sûr alors que, délivrés de toute crainte, ils reprendront d’autant plus de courage qu’ils auront été plus longtemps sans nous voir. Mais si, de ce moment, nous allons droit à eux, nous en trouverons bon nombre pleurant leurs moits, bon nombre empêchés par les blessures qu’ils ont reçues des nôtres, tous pleins du souvenir du courage de nos soldats, de leur fuite et de leur malheur. Crois-moi, Gobryas, et pénètre-toi de cette vérité. Une troupe nombreuse, quand elle a du cœur, est capable d’efforts auxquels rien ne résiste ; mais, du moment qu’elle a peur, plus elle est nombreuse, plus l’épouvante y cause de trouble et de désordre. Les mauvaises nouvelles qui circulent contribuent à l’augmenter encore, et elle se grossit de mille pâleurs affreuses, de mille incidents décourageants, de visages bouleversés. Cet excès de crainte, il est difficile de l’étouffer sous des paroles, de ramener aux ennemis en donnant du cœur, ou de ranimer le courage pour battre en retraite ; mais plus les exhortations sont vives, plus le danger paraît imminent.

« Voyons donc bien, par Jupiter, ce qu’il en est. Si, à partir d’aujourd’hui, la victoire, dans les opérations guerrières, dépend du plus grand uombre, tu as raison de craindre pour nous, et nous sommes réellement en péril ; mais si le succès des batailles, comme auparavant, dépend, aujourd’hui même encore, du courage des combattants, ne crains rien ; tu ne seras pas déçu : avec l’aide des dieux, tu trouveras parmi nous plus d’hommes bien disposés à combattre, que parmi les ennemis. Mais, pour te donner plus de confiance encore, réfléchis à ceci : les ennemis sont beaucoup moins nombreux, depuis que nous les avons défaits, beaucoup moins que quand nous les avons mis en fuite ; nous, au contraire, nous sommes plus grands aujourd’hui qu’autrefois, puisque nous sommes vainqueurs, plus forts, puisque nous avons le succès, plus nombreux, puisque vous vous êtes joints à notre armée : car ne fais pas à tes gens l’injure de les compter pour rien depuis qu’ils sont avec nous. Unis à des vainqueurs, Gobryas, les suivants même ont du courage. N’oublie pas non plus ceci, dit-il enfin, c’est que les ennemis peuvent dès à présent nous apercevoir : or, jamais, sois-en sûr, nous ne leur paraîtrons plus redoutables en demeurant en place qu’en allant droit à eux. Voilà mon avis : conduis-nous donc tout droit à Babylone. »