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d’être interrogé que de ne pas l’être, et qu’ils se lancent de ces railleries, dont on trouve plus agréable d’être le point de mire que de ne pas l’être ; qu’ils plaisantent souvent, mais sans parole offensante, sans geste incivil, sans aucun signe de mutuelle aigreur. Mais ce qui lui paraît surtout digne d’éloge, c’est de voir que, dans cette armée où tous partagent les mêmes dangers, personne ne croit avoir droit à une portion plus forte mais que chacun regarde comme le plus agréable des repas celui où l’on rend excellents soldats ceux qui doivent combattre ensemble. Aussi, quand Gobryas se lève pour retourner à sa demeure, on prétend qu’il dit : « Il n’est pas étonnant, Cyrus, qu’ayant plus de coupes, de vêtements et d’or que vous, nous valions moins que vous ne valez. Nous mettons, nous, tous nos soins à les amasser, et vous, vous ne paraissez travailler qu’à vous rendre meilleurs. » Cyrus lui répond : « À demain, Gobryas ; viens nous joindre dès le matin avec tes cavaliers tout armés, nous verrons l’état de tes forces, puis tu nous dirigeras à travers ton pays, afin que nous voyions ce qui doit être considéré comme ami ou comme ennemi. » Cela dit, chacun des deux retourne à ses affaires.

Dès que le jour paraît, Gobryas arrive avec ses cavaliers, et sert de guide à l’armée. Cyrus, en bon général, ne se préoccupe pas tellement du soin de régler la marche, qu’il ne songe aux moyens, tout en suivant sa route, de diminuer les forces de l’ennemi et d’accroître les siennes. Il appelle donc l’Hyrcanien et Gobryas, qu’il juge les plus propres à l’instruire de ce qu’il veut savoir. « Mes amis, leur dit-il, je pense qu’en délibérant avec d’aussi fidèles alliés que vous sur les opérations de cette guerre, je ne puis me tromper : car je vois que vous avez d’ailleurs encore plus d’intérêt que moi à faire que l’Assyrien n’ait pas l’avantage sur nous. Pour ma part, si j’étais déçu dans mes espérances, je me tournerais d’un autre côté ; mais vous, s’il est vainqueur, je vois que tous vos biens passeraient à des mains étrangères. En effet, il est devenu mon ennemi, non pas par haine contre moi, mais parce qu’il croit contraire à ses intérêts que nous nous agrandissions, et voilà pourquoi il se met en campagne contre nous. Vous, au contraire, il vous hait, parce qu’il croit que vous l’avez offensé. »

Ils répondent l’un et l’autre à Cyrus qu’il doit suivre son plan conformément à ces idées qu’ils approuvent eux-mêmes, et qu’ils sont fortement préoccupés de savoir comment tout cela finira. Alors Cyrus : « Dites-moi, répond-il, si vous êtes les seuls que