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montrent pas ; mais quand survient l’après-midi, on aperçoit une poussière semblable à un nuage blanc, qui bientôt se noircit et couvre la plaine. Lorsqu’ils sont plus près, on voit briller l’airain, puis les piques et les rangs se dessinent. C’était la cavalerie à cuirasses blanches appartenant à l’aile gauche de l’ennemi. Tissapherne était, disait-on, à la tête. Viennent ensuite les gerrophores, puis les hoplites, ayant des boucliers de bois tombant jusqu’aux pieds. On disait que c’étaient des Égyptiens. Après eux, viennent d’autres cavaliers, d’autres archers, rangés tous par nation, et chaque nation marchant formée en colonne pleine. En avant, à de grandes distances, étaient des chars armés de faux attachées à l’essieu, les unes s’étendant obliquement à droite, à gauche ; les autres placées sous le siége, dirigées vers la terre, pour couper tout sur leur passage. Le plan était de se précipiter sur les bataillons grecs et de les rompre.

Ce que Cyrus avait dit aux Grecs, dans son allocution, de ne pas s’effrayer des cris des Barbares, se trouva démenti. Point de cris, mais le plus profond silence ; une marche tranquille, égale et lente. Alors Cyrus, passant le long de la ligne avec Pigrès, son interprète, et trois ou quatre officiers, crie à Cléarque de conduire sa troupe au centre même des ennemis, où devait être le roi. « Si nous y sommes vainqueurs, dit-il, tout est à nous. » Cléarque, voyant le corps placé au centre, et apprenant de Cyrus que le roi était au delà de la gauche des Grecs, attendu que ses troupes étaient si nombreuses, que son centre dépassait l’aile gauche de Cyrus, Cléarque, dis-je, ne voulut pas détacher son aile droite des bords du fleuve, de peur d’être enveloppé par les deux flancs ; mais il répondit à Cyrus qu’il veillerait à ce que tout allât bien.

Cependant l’armée barbare s’avance en bon ordre. Le corps des Grecs, demeurant à la même place, se complète de soldats arrivant encore à leurs rangs. Cyrus, passant à cheval[1] le long de la ligne et à peu de distance du front, regardait de loin les deux armées, les yeux dirigés tantôt sur les ennemis, tantôt sur ses troupes, lorsqu’un des soldats de l’armée grecque, Xénophon d’Athènes[2] pique pour le rejoindre et lui demande

  1. On sait par Ctésias le nom du cheval que montait Cyrus dans celle mémorable journée ; il s’appelait Pasacas, était fougueux et facile à s’emporter.
  2. C’est notre historien lui-même. Comme il n’avait aucune fonction militaire, il pouvait se tenir à distance en qualité de spectateur.