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approchant, qu’elle lui en apportera, je l’ignore ; mais sache qu’il en est parmi eux pour qui les biens dont tu la doteras ne te feront pas le moins du monde estimer davantage. Aujourd’hui même ils me portent envie et demandent à tous les dieux de pouvoir montrer un jour qu’ils sont aussi fidèles que moi envers leurs amis, qu’ils ne cèdent jamais à l’ennemi tant qu’ils respirent, à moins que la Divinité ne leur soit contraire, et qu’ils font plus de cas de la vertu et d’une bonne renommée que de tes richesses ajoutées à celles des Syriens et des Assyriens. Tel est le caractère des gens que tu vois assis à mes côtés. » Gobryas reprend avec un sourire : « Au nom des dieux, Cyrus, indique-moi où ils sont, afin que je t’en demande un pour de venir mon fils. — Tu n’auras pas besoin de moi pour les con naître, dit Cyrus ; mais suis-nous, et bientôt tu seras toi-même en état de faire connaître chacun d’eux à un autre. »

Cela dit, Cyrus prend la main de Gobryas, se lève et part emmenant tous ceux qui sont avec lui. Vainement Gobryas le prie de demeurer à souper, il ne veut pas, mais il retourne souper au camp et y invite Gobryas. Quand il est couché sur un lit de feuillages : « Dis-moi, Gobryas, dit-il, crois-tu avoir plus de lits que chacun de nous ? — Par Jupiter, répond Gobryas, je vois bien que vous avez plus de tapis et plus de lits que moi, ainsi qu’une maison plus grande que la mienne, vous dont l’habitation est la terre et le ciel. Vous avez autant de lits qu’il y a de couches sur la surface de la terre ; vous regardez comme tapis, non pas tout ce que les brebis donnent de laine, mais les broussailles qui croissent sur les montagnes et dans les champs. »

Gobryas, mangeant pour la première fois avec les Perses et voyant les mets grossiers qu’on leur sert, juge que ses gens sont traités avec beaucoup plus de libéralité, surtout quand il a remarqué la tempérance des conviés. En effet, il n’est pas de mets ou de boisson sur laquelle un Perse bien élevé jette ostensiblement un regard ou porte une main avide ; son esprit n’est pas moins capable de réflexion que s’il n’était pas à table. De même que les écuyers ne se laissent point troubler, quand ils sont à cheval, mais peuvent, tout en chevauchant, voir, entendre et dire ce qu’il convient, de même les Perses croient qu’à table il faut se montrer sage et mesuré : quant à se sentir ému par la vue du manger et du boire, c’est, selon eux, le fait des porcs et des bêtes sauvages. Gobryas remarque également qu’ils s’interrogent entre eux sur des points où l’on trouve plus agréable