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bel objet. Car le feu ne brûle que quand on y touche, et la beauté, même de loin, enflamme ceux qui la regardent. — Soit tranquille, Cyrus ; lors même que je ne cesserais de regarder, jamais je ne serai subjugué, au point de rien faire de ce que je ne dois pas. — Parfaitement dit : garde-la donc, comme je te le prescris, et prends-en soin ; peut-être, dans la suite, sera-t-il à propos pour nous d’avoir entre nos mains cette femme. » Cela dit, ils se séparent.

Le jeune homme, voyant cette femme si belle, et frappé de la noblesse de ses sentiments, s’apercevant, en outre, que ses soins lui agréent et qu’elle ne les reçoit pas avec indifférence, qu’elle-même lui en rend par ses servantes, qu’ainsi lorsqu’il entre dans latente, on prévient ses besoins, que, s’il est malade, on veille à ce que rien ne lui manque ; le jeune homme, avec tout cela réuni, finit par être pris d’amour ; et cela n’a rien d’étrange. Voilà donc ce qui se passait.

Cependant Cyrus, voulant que les Mèdes et les autres alliés restent volontairement avec lui, convoque tous ceux qu’il faut, et leur parle ainsi : ce Mèdes, et vous tous qui êtes ici présents, je sais que ce L’est ni l’amour de l’argent, ni l’envie de servir Cyaxare qui vous a mis en campagne ; c’est parce que vous vouliez m’être agréables et m’honorer que vous avez affronté les marches nocturnes et les dangers avec moi. Je dois vous en savoir gré, à moins d’injustice. Seulement, je n’ai point encore le pouvoir de reconnaître dignement vos services : je ne rougis pas de l’avouer ; mais ces mots : « Si vous restez avec moi, je m’acquitterai pour sûr, » je rougirais de les prononcer. Je craindrais, en effet, de paraître ne vous faire cette promesse que pour vous déterminer à rester plus volontiers. Au lieu de cela, voici ce que je vous dis : Si vous me quittez pour obéir à Cyaxare, je ne laisserai pas, en cas de réussite, de me comporter avec vous de manière que vous ayez à vous louer de moi : car je ne m’en retourne pas. Je suis lié aux Hyrcaniens par des serments. Je ne trahirai point la foi donnée, et l’on ne me prendra pas à les trahir. Et maintenant, ce Gobryas qui nous livre sas murs, son pays, son pouvoir, je m’efforcerai de faire en sorte qu’il n’ait point à se repentir de sa venue vers moi. Mais, chose essentielle entre toutes, quand les dieux nous accordent si visiblement leurs faveurs, je craindrais et j’aurais bonté de les négliger et de partir. Vous toutefois, décidez ce que vous voudrez et agissez ainsi : dites-moi seulement ce que vous faites. » Ainsi parle Cyrus.