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et du manger préparés avec tant de soin. Mais je crois que nous gagnerons moins à faire bonne chère qu’à montrer que nous nous préoccupons de nos alliés ; et ce bon repas ne nous rendrait pas plus forts que le moyen d’avoir des alliés dévoués. Si pendant qu’ils poursuivent et tuent nos ennemis, pendant même qu’ils combattent ceux qui peut-être résistent, nous leur témoignions assez d’indifférence pour nous mettre à table avant d’être informés de ce qu’ils deviennent, nous nous couvririons de honte et nous nous affaiblirions faute d’alliés. Mais si, au contraire, pendant qu’ils affrontent et travaux et dangers, nous veillons à ce qu’ils aient au retour ce qui leur est nécessaire, ce repas, dis-je, sera beaucoup plus agréable que si nous pensons avant tout à satisfaire notre ventre. Songez, ajoute-t-il, que, quand nous n’aurions point à rougir devant nous, il ne nous convient nullement de les abandonner à l’excès du manger et à l’ivresse : car, nous n’avons pas encore terminé ce que nous voulons, mais tout est dans une situation critique qui exige un surcroît de vigilance. Nous avons dans notre camp des ennemis beaucoup plus nombreux que nous, et qui ne sont point enchaînés : il faut donc, tout à la fois, nous en défier et prendre garde qu’ils ne nous échappent, attendu qu’ils doivent nous servir pour tout ce qui est nécessaire. De plus, nos cavaliers sont absents, nous ignorons où ils sont, et s’ils voudront, à leur retour, demeurer ici. En conséquence, je suis d’avis que chacun de nous boive et mange si sobrement, qu’il résiste au sommeil et conserve sa raison. Il y a aussi beaucoup de richesses dans le camp, et je n’ignore pas qu’il nous est possible, ces richesses nous étant communes avec ceux qui nous ont aidés à les prendre, d’en mettre de côté tout ce qu’il nous plairait. Mais il ne me semble pas plus avantageux de prendre ces richesses que de nous montrer justes et de redoubler ainsi l’affection qu’ils ont pour nous. Mon avis est de ne faire ce partage qu’à leur retour, et de les confier aux Mèdes, aux Hyrcaniens et à Tigrane. Si notre part s’en trouve amoindrie, regardons cela comme un profit ; car l’intérêt les fera rester plus volontiers avec nous. Un excès de cupidité nous donnerait pour le moment un ridicule éphémère : mais l’abandon de ces trésors, pour la conquête du pays où naît la richesse, doit nous procurer, j’en suis sûr, une source inépuisable de fortune pour nous et tous les nôtres. Je crois que chez nous l’on nous exerçait à vaincre notre ventre et le désir des gains honteux, afin que nous puissions, au besoin, profiter de cette éducation. Or, où trouver