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sents ? — Je le crois, dit Cyrus, et parce que vous appuierez tous cette opinion, et parce qu’il y a de la honte à ne vouloir pas que celui qui a le mieux servi soit le mieux récompensé. Je suis certain que même les plus lâches trouveront qu’il est utile de mieux récompenser les braves. »

Or, Cyrus désirait que ce décret fût rendu particulièrement en vue des homotimes : il savait bien que c’était le moyen d’augmenter leur courage que de les assurer qu’on jugerait d’eux et qu’on les récompenserait selon leurs œuvres. Aussi ne voulait-il point laisser échapper cette occasion de faire voter sur une question où les homotimes eussent été mécontents d’avoir une part égale à celle du commun des soldats. Il est donc convenu que ceux qui étaient sous la tente introduiraient la question, et chacun jugea qu’elle serait appuyée par tous les braves. — Pour moi, dit un des taxiarques en souriant, je sais un homme du peuple qui ne manquera pas de dire avec nous que le partage ne doit pas être aveuglément égal. — Et qui est-ce donc, lui demanda-t-on ? — C’est, par Jupiter, un de mes compagnons de tente, qui veut, en tout, avoir plus que les autres. — Même en fait de travail, lui dit un autre ? — Oh ! non, par Jupiter ! vous m’avez pris à mentir sur ce point ; car pour les choses pénibles, il les laisse volontiers à qui veut en prendre plus que lui. — Quant à moi, mes amis, dit Cyrus, je crois que les gens du caractère de celui que l’on vient de dire, quand on veut avoir une armée active et docile, doivent en être bannis. Car je remarque que les soldats vont d’ordinaire comme on les mène : ainsi, selon moi, les bons conduisent au bien et les méchants au mal. Seulement, il arrive le plus souvent que les méchants trouvent beaucoup plus de gens qui veulent les suivre que les bons : car le vice, en marchant à travers des plaisirs tout actuels, en use pour attirer à lui les volontés et les cœurs, tandis que la vertu, montant par un sentier à pic, n’a pas grand charme pour attirer à elle les esprits, surtout quand d’autres cherchent à ramener vers la route facile et douce. Aussi, quand les soldats n’ont pas d’autres défauts que la fainéantise et la paresse, je les compare aux frelons, vu qu’ils ne nuisent à leurs compagnons que par la dépense. Mais ceux qui manquent de cœur quand il faut prendre la part de travail, et qui se montrent violents et impudents à se prévaloir, ceux-là sont des guides vers le mal, parce que souvent leur méchanceté peut avoir le dessus. Il faut donc retrancher tout à fait de nous de pareils hommes. Et ne soyez point en peine si vous remplirez vos rangs avec des gens de