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une plus grosse. Le cuisinier, croyant qu’il n’en veut pas, passe outre avant que l’autre ait eu le temps de prendre un autre morceau de viande. Cet homme est si fâché de sa mésaventure, d’avoir ainsi perdu la part qu’il avait prise, que, comme il lui restait encore de la sauce, il la renverse dans un accès d’humeur et de dépit contre la fortune. Le lochage qui était le plus près de nous bat des mains en voyant cela, et se donne à cœur joie de rire. Pour moi, je fais semblant de tousser, car je ne pouvais m’empêcher de rire aussi. Voilà quelle est, Cyrus, l’humeur d’un de nos compagnons. »

En entendant ce récit, tout le monde, comme de juste, éclate de rire. Alors un autre des taxiarques : « Mon camarade, dit-il, a trouvé là, Cyrus, à ce qu’il paraît, un homme peu commode. Pour moi, après que tu nous eus fait connaître comment tu désirais qu’on fît faire l’exercice aux soldats, et que tu eus commandé à chaque taxiarque d’enseigner à son bataillon ce que tu leur avais enseigné toi-même, moi, comme tous les autres, je pris un loche pour l’instruire. Je place un lochage en tête, et derrière lui un jeune homme, suivi de plusieurs autres sur la même file, comme je croyais qu’il fallait faire ; après quoi, je me mets vis-à-vis d’eux, et en regardant le loche, je donne, quand le moment me paraît opportun, l’ordre de marcher en avant. Alors mon jeune homme, passant par-devant le lochage, se met à marcher en avant. Je le vois et lui dis : « Hé ! l’homme, que fais-tu là ? » Il me répond : « Je marche en avant, d’après ton ordre. » Je lui dis : « Mais ce n’est pas à toi seul que j’ai donné l’ordre, c’est à tout le monde. » Alors lui, en entendant ces mots, et se tournant vers les autres lochites : « Est-ce que vous n’entendez pas, dit-il, qu’on TOUS ordonne de marcher tous en avant ? » Et, à l’instant même, tous mes hommes, passant par-devant le lochage, s’avancent de mon côté. Le lochage les rappelle. Ils se fâchent, et disent : « À qui donc obéir ? Maintenant l’un ordonne d’avancer et l’autre ne veut pas. » Pour moi, je vois la chose avec patience, et, remettant le monde en place, je défends à quiconque se trouve derrière de bouger, avant que ceux de devant se soient d’abord avancés, et je leur recommande à tous de ne faire attention qu’à une chose, de suivre celui qui les précède immédiatement. Là-dessus, un de mes amis qui s’en allait en Perse, vient me trouver, et me prie de lui donner une lettre que j’avais écrite pour envoyer chez moi. Alors moi, comme le lochage savait où était ma lettre, je le prie de courir la chercher. Il se met à courir ; le jeune homme susdit suit son