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semble : c’est qu’ils seraient moins disposés dans le besoin à s’abandonner les uns les autres. Il avait remarqué que les bêtes elles-mêmes, quand elles ont été nourries ensemble, éprouvent un vif regret lorsqu’on les sépare. Cyrus avait aussi le soin de ne faire prendre le dîner ou le souper à ses soldats, que trempés de sueur. Il les menait à la chasse pour les faire suer, ou inventait quelque jeu qui devait les mettre en sueur ; ou bien, s’il avait besoin d’agir lui-même, il les engageait dans une action qui ne leur permettait pas d’en revenir sans suer. Il regardait cela comme un excellent moyen de manger avec plaisir, de se porter mieux et d’être prêt à travailler. Pour ce qui est d’être sociables, il regardait le travail comme un excellent moyen de le devenir, puisque les chevaux qui travaillent ensemble deviennent plus doux. En somme, les soldats ont plus de cœur contre les ennemis, quand ils ont la conscience d’avoir été bien exercés.

Cyrus avait disposé pour lui-même une tente assez spacieuse pour y recevoir ceux qu’il invitait à dîner : il invitait, en effet, la plupart du temps, parmi les taxiarques, ceux qu’il croyait opportun d’engager ; il invitait même parfois des lochages, des décadarques et des pempadarquee, et jusqu’à de simples soldats. D’autres fois, c’était une pempade, une décade tout entière, un loche, un bataillon tout entier. Il honorait également de cette invitation ceux qu’il voyait faire des choses qu’il eût voulu voir faire à tous. On servait absolument les mêmes plats qu’à lui à tous les invités du repas. Il veillait à ce que les valets de l’armée fussent sur le pied de l’égalité avec tous les autres. Il croyait qu’il ne fallait pas moins honorer les valets de service militaire que des hérauts ou des députés. Il pensait que de telles gens doivent être fidèles, entendus en fait de guerre, prudents, actifs, prompts, diligents, amis de l’ordre. En un mot, toutes les qualités des meilleurs soldats, Cyrus les croyait nécessaires aux valets d’armée, et il les voulait habitués à ne se rebuter d’aucune besogne, mais à regarder comme de leur ressort tout ce que le chef leur commandait.