de froment ou d’orge, coûtait quatre sigles[1]. Or, le sigle vaut sept oboles attiques[2] et demie, et la capithe contient deux chénices[3] attiques. Les soldats ne se soutenaient donc qu’en mangeant de la viande. On faisait de ces longues marches, quand on voulait camper à la portée de l’eau et du fourrage. On arrive un jour à un passage resserré, plein de boue, impraticable aux charrois. Cyrus s’y arrête avec les premiers et les plus riches de sa suite, et charge Glos et Pigrès de prendre avec eux un détachement de barbares pour faire avancer les chariots. Comme ils lui semblent agir avec lenteur, il ordonne d’un air de colère aux seigneurs perses qui l’entourent de se mettre aussi aux chariots. On vit alors un bel exemple de discipline. Chacun à l’instant jette son surtout de pourpre, à la place où il se trouve, se met à courir comme s’il s’agissait d’un prix, et descend un coteau rapide, malgré les riches tuniques et les hauts-de-chausses brodés : quelques-uns avait des colliers au cou, des anneaux aux doigts ; en un clin d’œil ils sautent tous dans la boue, plus vite qu’on ne peut se le figurer, enlèvent les chariots et les dégagent.
En somme, on voyait que Cyrus pressait sa marche et ne s’arrêtait que pour prendre des vivres ou pour tout autre motif urgent. Il pensait que plus il se presserait, moins le roi serait préparé à combattre, et que plus il irait lentement, plus l’armée du roi se renforcerait : car tout homme qui réfléchit voit que l’empire du grand roi est puissant par l’étendue du pays et par la population, mais que la longueur des distances et la dispersion des forces le rendent faible contre quiconque lui ferait la guerre avec promptitude.
Sur l’autre rive de l’Euphrate, et vis-à-vis du camp établi dans le désert, était une ville riche et grande, nommée Karmande. Les soldats y allaient acheter des vivres en se faisant des radeaux de la manière suivante : ils prenaient les peaux qui leur servaient de couvertures, les remplissaient de foin léger, puis les joignaient et les cousaient si serré que l’eau ne pouvait mouiller l’herbe sèche : ils traversaient là-dessus, et se procuraient des vivres, du vin fait de l’espèce de gland que produit le palmier[4], et de la graine de millet : ce pays en abonde. En ce lieu survint une dispute entre deux soldats, l’un à Mé-