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de tes ennemis pût s’échapper. S’il faut parfois combattre en rase campagne, en plein jour, et bien armé des deux parts, c’est alors, mon garçon, que les avantages ménagés de longue main sont d’une grande utilité : je veux dire des soldats dont le corps a été bien exercé, l’âme bien aiguisée, l’éducation militaire bien faite. Mais il faut aussi ne pas perdre de vue que ceux de qui tu veux être obéi, veulent à leur tour que ta prévoyance s’étende sur eux. N’aie donc pas un instant d’insouciance ; mais songe la nuit à ce que ceux qui t’obéissent auront à faire, quand le jour sera venu ; puis le jour, à ce que la nuit les choses marchent à merveille. Comment il faut ranger une armée en bataille, comment il faut la mener de jour ou de nuit, dans un défilé, sur une route unie, dans les montagnes ou dans les plaines, asseoir un camp, placer des sentinelles de nuit et de jour, mener à l’ennemi, battre en retraite, se comporter auprès d’une ville ennemie, s’approcher ou s’éloigner d’un rempart, traverser un bois ou une rivière, se garder de la cavalerie, des gens de trait ou des archers, se ranger promptement en bataille, si les ennemis se présentent quand on marche en colonne, leur faire face s’ils se présentent pour charger en queue ou sur les flancs, éventer de son mieux leurs secrets, et leur cacher de ton mieux les tiens, tout cela, pourquoi t’en parlerais-je ? Tout ce que j’en ai dit, tu l’as souvent entendu, et d’ailleurs tous ceux que tu as crus versés dans ces matières, il n’en est pas un que tu aies négligé d’entendre, pas un dont les leçons ne t’aient profité. Il faut donc, d’après l’occurrence, je crois, te servir des moyens que tu jugeras les plus convenables.

« Mais surtout, mon fils, apprends de moi la chose importante entre toutes : quand les victimes, quand les présages ne sont point favorables, ne t’expose jamais, ni toi ni ton armée. Songe que les hommes forment leurs desseins sur de simples conjectures, et ne savent pas ce qui doit leur être le plus utile. Tu le comprendras par ce qui arrive tous les jours. Nombre d’hommes, qui passaient pour de grands politiques, ont souvent engagé leur patrie dans des guerres contre des peuples qui les ont précipités à leur perte. Beaucoup d’autres ont fait prospérer des particuliers et des États, et, pour prix de leurs services, ils ont souffert les plus grands maux. D’autres, pouvant se créer des amis par un échange de bons offices, ont mieux aimé traiter ces amis en esclaves ; ils ont été punis par ceux-là mêmes qu’ils voulaient asservir. D’autres encore, peu contents de ce qui leur assurait une vie douce, ont désiré tout posséder, et ils ont perdu