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de les déposer dans l’endroit le plus sûr. — Comment donc mon père, peut-on avoir l’avantage sur les ennemis ? — Par ma foi, mon garçon, tu me demandes là une chose qui n’est point une petite affaire, ni toute simple. Car, sache-le bien, pour faire ce que tu dis, il faut être insidieux, dissimulé, rusé, trompeur, voleur, pillard et supérieur en tout aux ennemis. — Par Hercule, reprend Cyrus en riant, quel homme, mon père, tu me conseilles de devenir ! — Mais oui, mon fils, le plus juste et le plus loyal des hommes. — Pourquoi donc alors, mon père, quand nous étions enfants et adolescents, nous enseigniez-vous tout le contraire ? — Par Jupiter, c’est encore aujourd’hui la même chose, quand il s’agit de vos rapports avec vos amis et vos concitoyens. Mais dès qu’il s’agit de faire du mal à vos ennemis, ne sais-tu pas qu’on vous apprend mille détours ? — Pour moi, mon père, je n’en ai point appris. — Et pourquoi donc avez-vous appris à tirer de l’arc ; pourquoi à lancer le javelot ; pourquoi à prendre des sangliers dans des filets et dans des fosses ; pourquoi des cerfs dans des pièges et dans des lacets ? pourquoi enfin ne combattiez-vous pas de plain-pied contre les lions, les ours et les léopards, mais tâchiez-vous toujours de prendre sur eux quelque avantage ? Ignores-tu que ce sont là des détours, des tromperies, des ruses, des moyens de succès ? — Oui, par ma foi, dit Cyrus, avec des bêtes ; mais avec des hommes, j’ai voulu un jour en tromper un, et je sais que j’ai reçu force coups. — Je ne crois pas cependant, dit Cambyse, que nous vous ordonnions de viser de l’arc ou de lancer le javelot sur un homme, mais nous vous apprenions à frapper un but, de manière à ce que, sans faire de mal dans ce moment à vos amis, une guerre échéant, vous pussiez viser les hommes[1]. Et de même nous ne vous enseignions pas à tromper les hommes et à prendre avantage sur eux, mais à le faire avec des bêtes, de manière à ce que, sans nuire à vos amis, vous fussiez, une guerre échéant, exercés à ces manœuvres. — Cependant, mon père, puisqu’il est utile de savoir également faire du bien et du mal aux hommes, il me semble qu’il faudrait que les hommes apprissent l’un et l’autre. — Aussi dit-on, mon garçon, que du temps de nos pères, il y eut un maître de l’enfance, qui enseignait aux enfants la justice comme tu le demandes : ne pas mentir et mentir, ne pas tromper et tromper, ne pas calomnier et calomnier, ne pas prendre avantage et

  1. Voy. les mêmes idées dans le traité De la chasse, t. I, p. 313, 339.