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mets à chacun de garder ce que je lui ai donné. » Astyage, en entendant cela, fit comme Cyrus le demandait.

Il faut ici parler d’une anecdote amoureuse. On dit que quand Cyrus s’en allait et qu’on se séparait les uns des autres, ses parents le baisèrent sur la bouche, à la façon persique, comme le font encore les Perses aujourd’hui. Un certain Mède, homme beau et bon, avait été frappé depuis longtemps de la beauté de Cyrus. Quand il voit les parents lui donner le baiser, il s’arrête à l’écart ; puis, quand tout le monde est parti, il s’approche de Cyrus et lui dit : « Suis-je donc le seul de tes parents que tu ne reconnaisses point, Cyrus ? — Comment, lui dit Cyrus, est-ce que tu es aussi de mes parents ? — Certainement, dit-il. — C’est donc pour cela, dit Cyrus, que tu me regardais tant : car il me semble t’avoir vu souvent me regarder. — Je voulais toujours m’approcher de toi, mais, par les dieux, j’avais honte. — Il ne le fallait pas, dit Cyrus, étant un parent. » Et cela dit, Cyrus s’avance et lui donne le baiser. Le Mède ainsi baisé lui dit : « Est-ce que c’est aussi chez les Perses la mode de donner le baiser aux parents ? — Certainement ; quand il y a longtemps qu’ils ne se sont vus, ou quand ils se séparent les uns des autres. — C’est donc le moment, dit le Mède, de me donner un second baiser, car je m’en vais comme tu vois. » Cyrus lui donne un second baiser d’adieu, et l’autre s’en va. Ils n’avaient pas encore fait beaucoup de chemin, quand le Mède revient sur son cheval tout en sueur. Cyrus le voyant : « Eh quoi ! dit-il, as-tu donc oublié quelqu’une des choses que tu voulais me dire ? — Non, par Jupiter, mais j’arrive après bien longtemps. — Par Jupiter, dit Cyrus, après bien peu de temps. — Comment ! après bien peu de temps ! dit le Mède ; tu ne sais donc pas, Cyrus, que même le temps de cligner l’œil me semble tout à fait long, parce que je ne te vois plus, toi qui es ce que tu es ? » Alors Cyrus, passant des larmes au sourire, lui dit, en le quittant, de ne pas se mettre en peine, que dans peu il sera de retour, et qu’alors il aura pleine liberté de le voir à son aise, sans cligner de l’œil.