Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 2.djvu/156

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

détaché vers la gauche, sous les ordres de Phrasias d’Athènes. On avançait, quand ceux qui sont en tête, arrivés à un grand vallon, dont le passage était difficile, font halte, parce qu’ils ignorent s’il est possible de le traverser. On appelle les stratèges et les lochages à la tête de la ligne. Xénophon, étonné de ce qui peut arrêter la marche, entend l’ordre et se porte au front à bride abattue. Quand tout le monde est assemblé, Sophénète, le plus âgé des stratèges, dit qu’il ne faut pas risquer le passage d’un pareil vallon. Alors Xénophon l’interrompant avec vivacité : « Compagnons, dit-il, vous savez que je ne vous ai jamais de gaieté de cœur exposés à un danger ; je vois, en effet, que vous avez moins besoin de valeur pour votre gloire que pour votre salut. En ce moment, voici notre position. Nous ne pouvons sortir d’ici sans combattre. Si nous ne marchons pas contre les ennemis, ils nous suivront dans notre retraite et tomberont sur nous. Examinons s’il vaut mieux marcher sur ces hommes, nos armes en avant, ou bien, nos armes au dos, voir les ennemis nous attaquer par derrière. Vous le savez, il n’y a point d’honneur à se retirer devant l’ennemi ; mais le poursuivre donne du cœur aux plus lâches. Pour moi, j’aimerais mieux poursuivre avec moitié moins de troupes, que fuir avec moitié plus. Et d’ailleurs, j’en suis sûr, vous ne vous figurez pas que ces gens tiendront contre notre attaque ; mais si nous tournons le dos, vous savez qu’ils auront le courage de nous suivre. Une fois passé, ce vallon difficile à franchir n’est-il pas, pour des hommes résolus à combattre, une position qui vaut la peine d’être prise ? Pour ma part, je voudrais que l’ennemi eût tous les chemins ouverts à sa retraite, et que nous, nous fussions convaincus par notre situation que nous n’avons de salut que dans la victoire. Je m’étonne donc que ce vallon paraisse à certains plus redoutable que tant d’autres que nous avons franchis. Mais comment traverser cette plaine même, si nous battons les cavaliers ? Comment passerons-nous ces montagnes, si tant de peltastes nous poursuivent ? Si nous arrivons sains et saufs à la mer, quel vallon que l’Euxin ! Là, nous ne trouverons ni bâtiments pour nous transporter, ni vivres pour subsister, si nous y restons. Mais il faudra, après nous être hâtés d’y arriver, nous hâter d’en sortir pour chercher des vivres. Il vaut donc mieux combattre aujourd’hui après avoir mangé, que demain à jeun. Compagnons, les victimes nous sont favorables, les augures propices, les entrailles superbes. Marchons à ces hommes : il ne faut pas qu’après avoir vu notre