Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 2.djvu/144

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gure d’une gloire élevée, glorieuse, mais pénible, vu que les oiseaux attaquent l’aigle surtout quand il est posé. Le devin ajoutait que ce n’était pas un augure de richesse, car c’est au vol que l’aigle s’empare de sa proie.

Pendant qu’il sacrifie, le dieu lui montre clairement qu’il ne doit ni briguer le commandement en chef, ni l’accepter, s’il est élu. C’est ce qui eut lieu. L’armée s’étant réunie, tout le monde dit qu’il faut élire un chef, et, cet avis adopté, on propose Xénophon. Comme il était évident que, quand on irait aux voix, ce serait lui qu’on choisirait, il se lève et dit :

« Soldats, je suis sensible à l’honneur que vous me faites, attendu que je suis homme ; je vous en remercie et je prie les dieux de me donner l’occasion de vous rendre service ; mais je ne crois pas, quand il y a là un Lacédémonien, que ce soit votre intérêt et le mien de me choisir : les Lacédémoniens seraient moins empressés à cause de cela de vous accorder ce qui vous ferait faute, et je ne sais pas s’il y aurait sûreté pour moi. Car je vois qu’ils n’ont cessé d’être en guerre avec ma patrie que quand ils ont eu fait reconnaître par toute la ville la suprématie des Lacédémoniens : cet aveu fait, ils ont cessé la guerre et n’ont pas continué le siège de la ville. Témoin de ces événements, si je paraissais attenter, autant qu’il est en moi, à leur autorité, je craindrais qu’on ne me rappelât brusquement à la raison. Quant à ce que vous pensez, qu’il y aura moins, de séditions avec un seul chef qu’avec plusieurs, sachez bien que, si vous en choisissez un autre, vous ne me trouverez à la tête d’aucun parti. Je pense qu’à la guerre quiconque conspire contre son chef conspire contre son propre salut ; tandis que, si vous me choisissiez, je ne serais pas surpris qu’il se trouvât quelqu’un d’irrité contre vous et contre moi. »

À ces mots, un plus grand nombre encore se lèvent et disent qu’il faut qu’il commande. Agasias de Stymphale dit qu’il trouve ridicule que la chose se passe de la sorte ; que, si les Lacédémoniens se fâchent, ils devront aussi se fâcher si, dans un festin, on ne choisit pas un Lacédémonien pour président. « À ce compte, ajoute-t-il, il ne nous est pas permis sans doute d’être lochages, puisque nous sommes Arcadiens. » Ces paroles d’Agasias sont couvertes d’applaudissements.

Alors Xénophon, voyant qu’il faut insister davantage, s’avance et dit : « Eh bien ! camarades, pour ne vous rien cacher, je vous en atteste tous les dieux et toutes les déesses, que, pressentant votre décision, j’offris un sacrifice pour savoir s’il se-