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Jupiter ! quelques-uns de nous n’étaient pas sans crainte. Pour moi, je m’avance, je demande quel est ce désordre. Il y en avait qui n’en savaient rien, tout en ayant des pierres entre les mains. Je trouve enfin un homme au courant de l’affaire : il me dit que les agoranomes se sont fort mal conduits avec l’armée. Au même instant, un soldat aperçoit l’agoranome Zélarque qui se retire vers le rivage : il jette un cri ; les autres l’entendent, et les voilà courant sus, comme s’ils avaient vu paraître un sanglier ou un cerf.

« Les Gérasontins, voyant qu’on se précipite de leur côté, croient qu’on leur en veut, fuient en courant et se jettent dans la mer. Quelques-uns des nôtres y tombent aussi, et tous ceux qui ne savent pas nager se noient. Que vous semble des Cérasontins ? Ils ne nous avaient fait aucun tort, ils craignaient que nous ne fussions tout à coup enragés comme des chiens.

« Si un pareil ordre de choses subsiste, voyez en quel désarroi tombera notre armée. Vous tous réunis en corps, vous ne serez plus maîtres de faire la guerre, ou, si vous le voulez, d’y mettre un terme. Le premier venu conduira l’armée à son gré et où il voudra. S’il vous vient quelques envoyés pour vous demander la paix ou toute autre chose, qui voudra les fera mettre à mort et vous empêchera de rien entendre des paroles de ceux qui nous sont députés. Ensuite, tous ceux que vous aurez choisis pour chefs n’auront plus d’autorité. Quiconque s’élira lui-même stratège et voudra crier : « Jette ! jette ! » pourra tuer tout chef ou tout simple soldat qu’il lui plaira, sans forme de procès, s’il trouve des complaisants, comme cela est arrivé naguère. Quels exploits vous ont produits ces stratèges qui se sont créés eux-mêmes, voyez-les. Zélarque, cet agoranome, est-il coupable envers vous, il s’est enfui par mer, et il a échappé au châtiment : est-il innocent, il fuit loin de l’armée de crainte d’être mis à mort injustement et sans forme de procès.

« Ceux qui ont lapidé les envoyés ont fait que, seuls de tous les Grecs, vous ne pouvez être en sûreté à Cérasonte, si vous n’y venez en force. Ces morts, que naguère ceux même qu’ils avaient tués vous invitaient à venir ensevelir, ils ont fait qu’il n’est pas sûr pour vous d’aller les enlever même avec un héraut. Qui voudra être héraut, après avoir tué ceux des autres ? Aussi avons-nous prié les Cérasontins d’ensevelir nos morts.

« Si vous approuvez tous ces faits, rendez un décret qui les confirme, afin que, s’ils se renouvellent, chacun se tienne sur ses gardes et essaye de se retrancher dans quelque lieu fort.