Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 2.djvu/10

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cès le croit, et fait arrêter Cyrus, pour le mettre a mort. Leur mère, à force d’instances, fléchit le roi, et obtient que Cyrus soit renvoyé dans son gouvernement[1]. Cyrus, tout ému du danger et de l’affront, s’en va et songe aux moyens de ne plus dépendre de son frère, mais, s’il peut, de régner à sa place. Parysatis, leur mère, favorisait Cyrus, qu’elle chérissait plus que le roi régnant Artaxercès. D’ailleurs, quiconque venait de chez le roi auprès de Cyrus, il le changeait si bien, qu’au départ on avait plus d’amitié pour lui que pour le roi ; et il mettait tous ses soins à ce que les Barbares qui étaient à son service devinssent de bons soldats et dévoués à sa personne.

En même temps, il lève des troupes grecques le plus secrètement possible, afin de prendre le roi tout à fait au dépourvu. Voici comment eut lieu cette levée. Dans toutes les villes où il entretenait garnison, il ordonna aux commandants d’enrôler le plus grand nombre possible des meilleurs soldats du Péloponèse, sous prétexte que Tissapherne en voulait à ses places. En effet, les villes ioniennes avaient été jadis à Tissapherne, le roi lui en ayant fait présent ; mais toutes, sauf Milet, s’étaient rangées du parti de Cyrus. Or, à Milet, Tissapherne, pressentant que les habitants avaient également l’intention de passer à Cyrus, fit mourir les uns et bannit les autres. Cyrus accueille les bannis, assemble une armée, assiége Milet par terre et par mer, et tâche d’y faire rentrer ceux qui en avaient été exilés. C’était pour lui un nouveau prétexte de lever des troupes. Puis il envoie prier le roi de lui dominer ces places, à lui, son frère, plutôt qu’à Tissapherne. Leur mère appuie cette demande, en sorte qu’Artaxercès, loin de soupçonner le piége qu’on lui tend, se figure que Cyrus ne fait tous ces armements dispendieux que contre Tissapherne. Il n’est pas même fâché de les voir en guerre, Cyrus lui envoyant les tributs prélevés sur les villes que Tissapherne avait eues en son pouvoir.

Une autre armée se levait pour Cyrus dans la Chersonèse, vis-à-vis d’Abydos ; et voici comment. Cléarque était un réfugié lacédémonien. Cyrus, s’étant mis en rapport avec lui, le prit en affection, et lui donna dix mille dariques[2]. Cléarque emploie cette somme à lever des troupes, se met en campagne, sort de la Chersonèse, marche contre les Thraces qui habitent au-dessus de l’Hellespont, et rend de si grands services aux Grecs, que les villes de l’Hellespont se cotisent afin de lui envoyer des vivres

  1. Cf. Plutarque, Artax., ii et iii.
  2. Environ 180 500 francs.