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être qui avait décidé qu’il existerait des animaux. — Maintenant, crois-tu que tu sois un être pourvu de quelque intelligence et qu’ailleurs il n’y ait rien d’intelligent ; et cela, quand tu sais que tu n’as dans ton corps qu’une parcelle de la vaste étendue de la terre, une goutte de la masse des eaux, et que sur l’immense quantité des éléments quelques faibles parties ont servi à organiser ton corps ? Penses-tu que toi seul aurais eu le bonheur de ravir une intelligence qui, par suite, n’est nulle part ailleurs, et que ces êtres infinis, par rapport à toi, en nombre et en grandeur seraient maintenus en ordre par une force inintelligente ? — Je le nie, par Jupiter ! car je n’en vois pas les maîtres, comme je vois les artisans des œuvres qui se font ici-bas. — Tu ne vois pas non plus ton âme, qui est la maîtresse de ton corps, de sorte que tu pourrais dire, par la même raison, que tu ne fais rien avec intelligence, mais tout au hasard[1]. » Alors Aristodème : « Certes, Socrate, je ne méprise point la divinité, mais je la crois trop grande pour avoir besoin de mon culte. — Cependant, dit Socrate, plus l’être qui veut bien agréer tes hommages est grand, plus tu dois l’honorer. — Sache-le bien, si je croyais que les dieux ont quelque souci des hommes, je ne les négligerais point. — Comment ! tu ne crois pas qu’ils en aient souci, eux qui tout d’abord ont accordé à l’homme, seul de tous les animaux, la faculté de se tenir debout ? Or, cette attitude lui permet de porter plus loin sa vue, de mieux contempler les objets qui sont au-dessus de lui, et d’être moins exposé aux dangers. Ils ont placé en haut les yeux, les oreilles, la bouche ; et, tandis qu’ils donnaient aux autres animaux attachés au sol des pieds qui leur permissent seulement de changer de place, ils ont de plus accordé à l’homme des mains, à l’aide desquelles nous accomplissons la plupart des actes qui nous rendent plus heureux que les animaux. Tous les autres êtres ont une langue ; celle de l’homme est la seule qui soit faite de manière à ce qu’en touchant les diverses parties de la bouche, elle articule des sons et communique aux autres tout ce que nous voulons exprimer. Parlerai-je des plaisirs de l’amour, dont la faculté, bornée, pour les autres animaux, à une saison de l’année, s’étend pour nous sans interruption jusqu’à la vieillesse ? Il n’a donc pas suffi à la divinité de s’occuper du corps de l’homme, mais, ce qui est le point capital, elle a mis en lui l’âme la plus parfaite. En effet,

  1. Cf. un beau passage de Cicéron, Tuscul., 1, chap. xxvii, xxviii et xxix.