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les œuvres dont la destination n’est pas manifeste, et celles dont l’utilité est incontestable, lesquelles considères-tu comme un produit du hasard ou bien d’une intelligence ? — Il est juste de dire que celles qui ont un but d’utilité sont le produit d’une intelligence[1]. — Ne te semble-t-il donc pas que celui qui, dès l’origine, a fait les hommes, leur a donné dans une vue d’utilité chacun des organes au moyen desquels ils éprouvent des sensations, des yeux pour voir ce qui est visible, des oreilles pour entendre ce qui peut être entendu ? Les odeurs, si nous n’avions pas de narines, à quoi nous serviraient-elles ? Y aurait-il une sensation de ce qui est doux, de ce qui est amer, de tout ce qui est agréable à la bouche, si la langue n’avait été créée pour le discerner ? En outre, ne trouves-tu pas qu’on doive regarder comme un acte de prévoyance que la vue étant un organe faible, elle soit munie de paupières, qui s’ouvrent au besoin et se ferment durant le sommeil ; que, pour la protéger contre les vents, elle soit munie d’un crible de cils ; que les sourcils forment une gouttière au-dessus des yeux, de sorte que la sueur qui découle de la tête ne puisse leur faire mal ; que l’oreille reçoive tous les sons, sans se remplir jamais ; que, chez tous les animaux, les dents de devant soient propres à couper, et les molaires à broyer les aliments qu’elles en reçoivent ; que la bouche, par où les animaux introduisent la nourriture qu’ils désirent, soit placée près des yeux et des narines, tandis que les déjections, qui nous dégoûtent, ont leur canaux éloignés et détournés aussi loin que possible de nos organes ? Tous ces ouvrages d’une si haute prévoyance, doutes-tu si tu dois les attribuer au hasard ou à une intelligence ? — Non, par Jupiter, dit Aristodème ; mais quand on y regarde, cela ressemble parfaitement à l’œuvre de quelque ouvrier sage et ami des êtres, qui respirent. — Et le désir donné aux créatures de se reproduire, et le désir inspiré aux mères de nourrir leur fruit, et chez ce fruit le plus grand amour de la vie et la plus grande crainte de la mort ? — Évidemment tout cela paraît des inventions d’un

  1. « Remarquons ici le principe des causes finales, appliqué à la démonstration de l’existence de la divinité. Ce principe, méconnu par l’école d’Ionie en général, posé par Anaxagore, mais resté trop peu fécond entre ses mains, a été largement développé par Socrate et Platon. Comparez toute la suite de ce chapitre avec ce que dit Cicéron, De nat. Deor., II, LVI et suivants. » H. Martin. Cf. le Traité de l’existence de Dieu de Fénelon, et le Traité de la connaissance de Dieu et de soi-même de Bossuet.