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persuadé que les dieux savent parfaitement quels sont ces biens[1] : leur demander de l’or, de l’argent, le pouvoir, ou toute autre chose semblable, c’était, à son avis, leur demander l’issue d’un coup de dé, d’un combat, ou toute autre chose dont on ne peut savoir comment cela tournera. Modeste dans ses offrandes, parce que sa fortune était modeste, il croyait ne pas rester au-dessous de ces riches qui, avec de grands biens, offrent de nombreuses et grandes victimes. Les dieux, disait-il, agiraient mal, s’ils acceptaient avec plus de plaisir les grandes offrandes que les petites : car souvent les dons des méchants leur agréeraient plus que ceux des bons ; et l’homme, à son tour, croirait la vie peu de chose, si les dons des hommes vertueux étaient moins agréables aux dieux que ceux des méchants. Au contraire, il croyait que les offrandes des personnes les plus pieuses étaient celles qui plaisaient le plus aux dieux. Il louait aussi ce vers[2] :

Selon votre pouvoir offrez aux immortels ;


et il prétendait qu’avec les amis, les hôtes, dans toutes les circonstances de la vie, c’était un excellent précepte que celui-ci :

Selon votre pouvoir…


S’il lui semblait recevoir quelque avis des dieux, on l’eût moins facilement déterminé à agir contre cet avis qu’à prendre, dans une marche, un guide aveugle et ignorant le chemin au lieu d’un homme clairvoyant et connaissant la route : il accusait de folie ceux qui agissent contre les avis des dieux, pour se mettre à l’abri de la mauvaise opinion des hommes[3]. Pour lui, tout ce qui venait de l’homme lui paraissait bien inférieur aux avis de la divinité.

Il avait façonné son âme et son corps à un régime tel, qu’en l’adoptant, sauf une intervention d’en haut, on serait sûr de vivre en toute confiance et en pleine sécurité, avec de quoi suffire à une aussi modeste dépense. Il était si frugal, que je ne sais personne qui ne pourrait travailler assez peu pour ne pas gagner ce dont Socrate se contentait : il ne prenait de nourriture qu’autant qu’il avait plaisir à manger, et il arrivait à son repas dans une disposition telle que la faim lui ser-

  1. Cf. Platon, 2e Alcibiade, et Valère Maxime, VII, ii.
  2. Hésiode, Trav. et jours., v. 336.
  3. Dans le Phèdre de Platon on trouve cette maxime du poète Ibycus : Qu’il ne faut point commettre une faute devant les dieux pour acheter à ce prix l’estime des hommes.