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Reste assis, et fais seoir ta phalange guerrière. »
Mais, s’il apercevait quelque soldat vulgaire,
S’il entendait ses cris, il le frappait soudain
De son sceptre, et disait d’un ton brusque et hautain :
« Reste assis, misérable, écoute la parole
De qui vaut mieux que toi, race vaine et frivole,
Sans cœur dans les combats, sans valeur au conseil ! »

Ces vers, Socrate les expliquait comme si le poète eût approuvé qu’on frappât les plébéiens et les pauvres. Mais Socrate ne disait pas un mot de cela, ou bien il aurait cru qu’il fallait le frapper lui-même : il disait que les hommes nuls dans le conseil et dans l’action, incapables, au besoin, de venir en aide à l’armée, à l’État et au peuple, et, malgré cela, pleins d’audace, doivent être réprimés par tous les moyens, fussent-ils comptés parmi les riches. Tout au contraire, Socrate se montrait ouvertement ami du peuple et philanthrope. En effet, escorté de nombreux disciples, Athéniens et étrangers, il ne tira jamais aucun profit de ce commerce, mais il leur communiquait à tous, sans réserve, son propre bien ; de sorte que quelques-uns d’entre eux vendirent fort cher à d’autres ce qu’ils avaient reçu gratuitement de lui, et ne se montrèrent point, comme lui, amis du peuple, attendu qu’ils refusaient de s’entretenir avec qui ne pouvait les payer[1]. Ainsi Socrate a donné aux yeux des autres hommes beaucoup plus de relief à notre république que Lichas à celle des Lacédémoniens, bien que celui-ci se soit fait un nom par ce que nous allons dire. Ce Lichas[2], pendant les gymnopédies[3], recevait à sa table les étrangers qui se trouvaient à Lacédémone. Socrate, répandant son bien durant tout le cours de sa vie, rendait les plus grands services à tous ceux qui voulaient ; il renvoyait meilleurs ceux qui vivaient avec lui.

Ma conviction est donc que Socrate, avec un tel caractère

  1. Ce reproche s’adresse spécialement à Aristippe de Cyrène.
  2. Lichas, fils d’Arcésilas, avait coutume de nourrir à ses frais les étrangers attirés dans sa patrie par quelque grande fête nationale. Voici ce qu’en dit Plutarque dans la Vie de Cimon, chap. x : « Lichas le spartiate s’est fait un nom célèbre parmi les Grecs, uniquement parce qu’il recevait chez lui les étrangers au temps des gymnopédies. » Cf. ce que dit Valère-Maxime, IV, viii, sur la bienfaisance d’un certain Gillias d’Agrigente.
  3. Les gymnopédies étaient des fêtes lacédémoniennes, pendant lesquelles un chœur d’enfants et un chœur d’hommes dansaient nus en chantant des péans autour des statues d’Apollon, de Diane et de Latone, en commémoration de la victoire remportée à Thyrée sur les Argiens. Voy. Athénée, xv, p. 78 ; Lucien, de la Danse, 12, t. I, p. 483 de notre traduction.