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main, ou fait retrancher par d’autres, ce qui, dans ce corps, objet de sa plus vive affection, lui semble inutile et superflu : ainsi les hommes coupent eux-mêmes leurs ongles, leurs cheveux, leurs cors ; ils se donnent aux médecins à tailler et à brûler, avec force douleurs et souffrances, et ils croient encore leur devoir un salaire en échange ; enfin, ils crachent leur salive le plus loin possible de leur bouche, parce qu’elle ne leur sert à rien, en séjournant en eux, et qu’elle leur nuit bien plutôt. Or, il parlait ainsi, non pour apprendre à enterrer son père tout vivant, ni à se couper soi-même en morceaux ; mais, en montrant que ce qui est absurde est sans estime, il enseignait à faire tous ses efforts pour devenir le plus sage et le plus utile possible, afin que, voulant obtenir l’estime d’un père, d’un frère, ou de n’importe quelle autre personne, on ne se fiât pas aux liens seuls de la parenté, mais qu’on essayât d’être utile à ceux dont on souhaitait l’estime.

L’accusateur prétend que Socrate faisait un choix des passages les plus mauvais des poètes en renom, et s’en servait comme de preuves pour former ses disciples au crime et à la violence. Ainsi, quand il empruntait ce vers d’Hésiode[1] :

Agir n’est pas honteux, ne pas agir c’est mal,


c’était pour montrer le poète engageant à ne reculer devant rien d’injuste ou de honteux, mais à tout faire pour le gain. Nullement : lorsque Socrate reconnaissait que l’action est utile et honorable pour l’homme, tandis que l’inaction est nuisible et honteuse, que l’une est un bien et l’autre un mal, il disait que ceux qui font quelque chose de bien agissent, et agissent comme il faut, tandis que ceux qui jouent aux dés ou qui se livrent à d’autres occupations mauvaises ou funestes, il les appelait des oisifs. Compris ainsi, rien n’est plus vrai que le vers :

Agir n’est pas honteux, ne pas agir c’est mal.

L’accusateur dit encore que Socrate citait souvent ces vers d’Homère, où il est dit qu’Ulysse[2],

Quand il voyait un roi, quelque héros d’élite,
L’arrêtait, en tenant ce langage flatteur :
« Fils d’un dieu, ne fuis point comme un homme sans cœur ;

  1. Travaux et Jours, v. 313.
  2. Iliade, II, v. 188-191, 198-202.