Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/78

Cette page a été validée par deux contributeurs.
7
livre i

aurait-il corrompu les jeunes gens ? à moins que les soins donnés à la vertu ne soient un acte de corruption.

Mais, par Jupiter, dit l’accusateur, il excitait ses disciples au mépris des lois établies, disant que c’est folie de choisir avec une fève les magistrats d’une république[1], tandis que personne ne voudrait employer un pilote désigné par la fève, ni un architecte, ni un joueur de flûte, ni aucun de ces hommes, dont les fautes sont pourtant bien moins nuisibles que les erreurs de ceux qui gouvernent les États. De tels discours, ajoute-t-il, inspirent aux jeunes gens le mépris de la constitution en vigueur, et les rendent violents. Pour moi, je pense que ceux qui pratiquent la sagesse et qui se croient capables de donner des conseils utiles à leurs concitoyens, ne sont aucunement des gens violents. Pour moi, je pense que ceux qui pratiquent la sagesse et qui se croient capables de donner des conseils utiles à leurs concitoyens, ne sont aucunement des gens violents, vu qu’ils savent que la violence engendre la haine et les dangers, tandis que la persuasion fait agir sans péril et sans nuire à l’affection. En effet, celui que nous contraignons nous hait comme si nous lui avions fait tort ; celui que nous persuadons nous aime comme si nous lui avions rendu service. La violence n’est donc point le propre de ceux qui pratiquent la sagesse ; mais ceux qui possèdent la force sans la raison ont l’habitude d’agir violemment. En outre, pour être violent, il faut de nombreux auxiliaires ; pour persuader, on n’a besoin de personne : seul, on peut se croire capable de persuader. Aussi jamais l’on n’a vu de tels hommes se souiller d’un meurtre : car, qui aimerait mieux tuer quelqu’un que de le laisser vivre et de se le rendre utile par la persuasion ?

Mais du moins, dit l’accusateur, avec Socrate ont vécu familièrement Critias et Alcibiade, qui, tous deux, ont fait le plus grand mal à l’État[2]. Critias, de tous ceux qui ont gouverné durant l’oligarchie, a été le plus avide, le plus violent, le plus sanguinaire ; Alcibiade, de tous ceux qui ont gouverné sous la démocratie, a été le plus débauché et le plus insolent. Pour moi, si ces deux hommes ont fait quelque mal à la république, je ne les justifierai point ; mais quels ont été leurs rapports communs avec Socrate, c’est ce que je vais dire[3]. Ces

  1. Lucien se moque également de cet usage : Sectes à l’encan, 6. Voy. notre traduction, t. I, p. 201 et 202.
  2. Voy., pour la biographie d’Alcibiade, Plutarque et Corn. Népos, et cf. celle de Thrasybule, par ce dernier historien. Sur la vie de Critias, voy. Xénophon, Helléniq., II, iii et iv.
  3. Le texte grec offre ici un exemple de ce balancement antithétique qui