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mémoires sur socrate.

des hommes dans les plaisirs des sens et de la table, et en second lieu le plus endurci contre l’hiver, l’été, les travaux de toute espèce, et tellement habitué à la médiocrité que sa mince fortune[1] lui suffisait et par delà. Comment donc, avec de telles mœurs, aurait-il pu rendre les autres impies, ennemis des lois, intempérants, débauchés, sans énergie contre la fatigue ? Au contraire, il réprimait ces vices dans la plupart des hommes, leur faisait aimer la vertu, et leur suggérait l’espoir, en veillant sur eux-mêmes, de devenir un jour vertueux. Cependant il ne se proposait jamais pour un maître de sagesse ; mais, se montrant tel qu’il était, il faisait espérer à ceux qui passaient leur temps avec lui de lui ressembler en l’imitant. Toutefois il ne négligeait pas le corps, et n’approuvait pas ceux qui le négligent. Ainsi, il défendait de manger avec excès pour se livrer à un exercice outré ; mais l’exercice qui agrée à l’âme, il recommandait de s’y livrer sans aller au delà, attendu qu’un pareil régime est aussi hygiénique que possible, et qu’il ne nuit en rien aux soins dus à l’âme. En outre, il ne se montrait ni élégant, ni affecté dans ses vêtements, dans sa chaussure, dans toute sa manière de vivre. Il ne faisait pas non plus de ses disciples des hommes avides d’argent : car, en les délivrant des autres désirs, il ne tirait aucun argent de ceux qui désiraient vivre près de lui. Il croyait par cette abstention[2] garder mieux sa liberté : et quant à ceux qui reçoivent un salaire pour leurs entretiens, il les appelait esclaves volontaires, puisqu’ils s’imposent la nécessité d’avoir une conversation avec ceux qui leur en payent le prix. Il s’étonnait qu’un homme qui fait profession d’enseigner la vertu exigeât un salaire : qu’au lieu de regarder l’acquisition d’un ami vertueux comme le plus grand profit, il craignît de voir un cœur rendu vertueux ne pas payer le plus grand des bienfaits par la plus grande reconnaissance. Aussi Socrate ne promettait jamais rien de semblable à personne ; mais il avait la confiance de se créer chez ceux qui adopteraient ses principes des amis dévoués à sa personne durant toute leur vie, et s’aimant entre eux d’une mutuelle amitié. Comment donc un tel homme

  1. Cette fortune s’élevait à 5 mines, moins de 500 francs. Cf. Économiq., II. Libanius, dans son Apologie de Socrate, élève cette fortune à 80 mines, près de 8 000 francs.
  2. Le texte de Weiske porte ἀπεχθομένους, ceux qui s’abstiennent : j’ai suivi de préférence la leçon ἀπεχόμενος, s’abstenant lui-même, adoptée par MM. Martin, Dindorf et Sommer.