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mémoires sur socrate.

et il recourait notoirement à la divination. Socrate disait, et c’était un bruit général, qu’un démon[1] venait l’inspirer ; et voilà particulièrement pourquoi on l’accusa d’introduire des extravagances démoniaques. Cependant il n’introduisait pas plus de nouveautés que tous ceux qui croient à la divination, et qui interrogent les oiseaux, les voix, les phénomènes naturels, les entrailles des victimes. Ces gens-là, en effet, ne supposent ni aux oiseaux, ni à ceux qu’ils rencontrent, la connaissance de ce qui les intéresse, mais ils pensent que les dieux se servent de ces moyens pour les avertir : c’était aussi la croyance de Socrate. Seulement, le vulgaire dit que les oiseaux et les rencontres l’entraînent ou le détournent ; Socrate parlait selon sa pensée : il se disait guidé par un démon. Aussi conseillait-il à bon nombre de ses disciples de faire une chose ou de n’en pas faire une autre, suivant les inspirations de cet être surnaturel. Obéissait-on, l’on s’en trouvait bien ; négligeait-on ses conseils, on avait lieu de s’en repentir. Or, qui ne conviendrait que Socrate ne voulait passer aux yeux de ses disciples ni pour un insensé, ni pour un imposteur ? Il aurait cependant été regardé comme l’un et l’autre, si, annonçant des faits qui lui avaient été révélés par un dieu, il eût été ensuite convaincu de mensonge. Il est donc évident qu’il n’aurait pas prédit, s’il n’avait pas eu foi qu’il disait la vérité. Mais à quel autre accorder cette foi, si ce n’est à un dieu ? Et si Socrate avait foi aux dieux, comment aurait-il douté de leur existence ?

Mais, en outre, voici ce qu’il faisait avec ses amis. Dans les choses d’un résultat certain[2], il leur conseillait d’agir de la manière qu’il croyait la meilleure ; mais dans celles d’une issue douteuse, il les renvoyait à la divination, pour savoir s’ils devaient agir. Par exemple, ceux qui ont à bien gouverner une maison, un État, doivent, selon lui, recourir à la divination : l’architecture, en effet, la métallurgie, l’agriculture, la politique, la théorie des autres sciences analogues, le calcul, l’économie, la stratégie, sont toutes connaissances accessibles, disait-il, à l’intelligence humaine ; mais ce qu’il y a de plus grand en elles, les dieux, suivant lui, se le réservent, sans en rien laisser voir à l’homme. Celui qui plante bien un verger ne sait

  1. Voy. le Théagès de Platon, les ouvrages d’Apulée et de Plutarque : Du dieu de Socrate, et le livre de M. Lélut, qui a pour titre : Du démon de Socrate. Cf. Cicéron, De la Divination, I, LIV.
  2. Cf. Cyropédie, I, vi.